Premier volet de la trilogie consacrée par Seidl au paradis, Paradis: Liebe revisite les rapports nord-sud à la lumière du tourisme sexuel. Radical et grinçant…

Paradies: Liebe

De Ulrich Seidl. Avec Margarethe Tiesel, Inge Maux, Peter Kazungu. 2 h 00. Dist: Lumière.

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Performance peu banale: Ulrich Seidl aura réussi à placer successivement les trois volets de sa trilogie consacrée au Paradis dans chacun des grands festivals internationaux, soit, dans l’ordre, Cannes, Venise et Berlin. Un grand chelem, inédit jusqu’à plus ample informé, qui illustre l’aura dont jouit désormais le cinéaste autrichien, venu du documentaire, et découvert il y a une dizaine d’années avec l’affolant Dog Days, avant de poursuivre son entreprise vitriolée dans Import/Export notamment. Avec Paradis:Amour, le réalisateur viennois entamait donc son grand oeuvre, qu’allaient compléter dans les mois suivants Paradis: Foi et Paradis: Espoir -soit trois films venus croquer un portrait sans complaisance d’une humanité plongée dans une solution acide.

Au coeur de Paradies: Liebe, on trouve Teresa (Margarethe Tiesel, dont la prestation, tout bonnement sensationnelle, aurait mérité plus de considération du jury cannois que présidait Nanni Moretti), une Autrichienne travaillant dans le social et affichant la cinquantaine flasque, qui va se lancer dans une quête de l’amour fort hypothétique à la faveur de vacances kenyanes. Et de bientôt vaciller, naïve, de désillusion en désillusion, pour venir grossir les rangs des Sugar Mamas, touristes achetant les services sexuels de beach boys locaux trouvant pour leur part dans ce commerce quelque manne à même d’assurer leur subsistance.

Comme toujours chez Seidl, le trait est porté par une férocité qui friserait l’insoutenable si elle n’était assortie d’une solide dose d’humour grinçant. La première partie du film est ainsi anthologique qui conduit le spectateur d’une séquence d’auto-tamponneuses proprement ahurissante au carrousel d’Occidentales flétries débarquant dans leur paradis tropical présumé tous préjugés hérités du colonialisme dehors. La vision est aussi glaçante qu’inconfortable; elle se double, chez Seidl, d’une incontestable lucidité, qui le voit revisiter les rapports nord-sud à la lumière du tourisme sexuel, à quoi il ajoute la photographie perçante du désenchantement contemporain comme de la solitude. Perspective embrassée avec une obstination cruelle qui, si elle renforce le malaise généré par le film, touche parfois aussi à la complaisance -un sentiment que le final, reposant les enjeux de Liebe dans un mouvement d’une lumineuse simplicité, ne suffit pas à totalement tempérer.

Les cinéphiles germanophones apprécieront l’interview -non sous-titrée- d’Ulrich Seidl et de son actrice Margarethe Tiesel proposée en marge d’un film résolument secouant. Quant aux autres, ils se réjouiront de pouvoir découvrir prochainement en DVD les deux autres volets de la trilogie, annoncés l’un cet été, l’autre à l’automne. Sans même parler de Im Keller, documentaire à venir consacré par le cinéaste au rapport entretenu par les Autrichiens avec leur cave. Tout un programme…

Jean-François Pluijgers

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