LE CINÉASTE IRANIEN JAFAR PANAHI CONTOURNE LUMINEUSEMENT L’INTERDICTION DE TOURNER DONT IL EST L’OBJET. OURS D’OR À BERLIN.

Taxi Téhéran

DE ET AVEC JAFAR PANAHI. 1 H 22. SORTIE: 22/04.

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Voilà cinq ans maintenant que Jafar Panahi, l’auteur du Cercle et autre Hors jeu, était condamné par les autorités iraniennes à ne plus réaliser de films, interdiction assortie de celle de quitter son pays pour une durée de 20 ans -on se souvient que son fauteuil de juré resta symboliquement vide pendant toute la durée du festival de Cannes 2010. Il en fallait plus, toutefois, pour museler le cinéaste: si les atteintes répétées à sa liberté ont forcément infléchi son parcours, elles lui ont aussi inspiré une oeuvre plus abrasive que jamais. Ainsi de Ceci n’est pas un film, coréalisé avec Mojtaba Mirtahmasb en 2011, et de Closed Curtain, cosigné avec Kambuzia Partovi dans la foulée, deux films tournés dans la clandestinité alors qu’il était assigné à résidence.

Se jouer des interdits

Venant après ceux-là, Taxi Téhéran en élargit sensiblement le spectre. S’il est toujours frappé d’interdit (le film est d’ailleurs dénué de générique, à défaut de la validation des autorités islamiques), Panahi y sort du confinement de sa maison pour renouer avec l’extérieur. A savoir, en la circonstance, les rues de Téhéran, qu’il sillonne au volant d’un taxi à bord duquel grimpent des personnages souvent hauts en couleur, passagers dont le réalisateur va filmer les conversations à l’aide d’un dispositif aussi minimaliste qu’ingénieux reposant sur trois (mini)caméras.

Convoquant le monde au sein de l’habitacle exigu, le parti pris ne tarde pas à dévoiler sa pertinence et sa richesse. Il y a là, tout d’abord, esquissé au fil des rencontres, le portrait, fascinant et teinté d’humour comme d’émotion, de la ville et de la société iranienne. Une vue en coupe que Jafar Panahi nourrit, en plus des témoignages, d’une mise en abîme aiguisée et pleine d’esprit de sa propre situation, livrant une manière d’autofiction où il revisite avec bonheur sa filmographie, tout en se jouant, non sans malice, des interdits. Ainsi, d’une scène, inoubliable, où une fillette énonce les règles absurdes édictées par le pouvoir islamique en matière de cinéma, cahier des charges dont Taxi Téhéran prend systématiquement le contre-pied suivant un principe hautement jubilatoire -l’intelligence acérée du propos n’exclut pas la légèreté en effet. « Ce film représente un pas modeste mais significatif vers une plus grande ouverture de notre société », expliquait l’avocate et militante des droits de l’homme Nasrin Sotoudeh, qui joue son propre rôle à l’écran, dans une interview à Der Spiegel en février dernier. En tout état de cause, il y a là à la fois une oeuvre de contrebande, un acte de résistance, un plaidoyer cinglant pour la liberté d’expression, un grand moment de cinéma et un Ours d’Or berlinois largement mérité. Vous savez ce qu’il vous reste à faire…

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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