PROJET JAZZ DE TOM BARMAN, TAXIWARS OSE LA RELECTURE VISCÉRALE DE LA GREAT BLACK MUSIC AMÉRICAINE VIA UN SPOKEN WORD PRESSÉ ET FLAMBOYANT. RÉUSSI.

Vilvoorde, début mars, tournage du clip de TaxiWars, Death Ride Through Wet Snow. Journée chargée pour dispositif simple: Tom Barman et ses trois acolytes, Robin Verheyen (sax), Nicolas Thys (contrebasse) et Antoine Pierre (batterie), jouent plus qu’ils ne miment la chanson. Le titre entraînant fait bouillir la marmite jazz sous fringale rock et perfusion funky. Au-delà des obsessions clips à la dEUS -l’irruption de danseurs qui répondent à la musique-, la marque est décidément barmanienne. Dominée par la présence physique et le débit, jamais loin d’un fluide continu. Le lendemain, Tom dira qu’à 43 ans, il s’agit bien du « dernier clip de lui-même« qu’il dirige et qu’il est temps de céder la place à des réalisateurs de la génération suivante. En attendant, c’est marrant de voir Tommy pétroler devant le micro et lâcher à toute berzingue son spoken word, pour filer ensuite vers le moniteur de contrôle et s’assurer que ses trois comparses suivent le même TGV. Au four et au jazz donc.

Sans vouloir catégoriser le premier album qui sort ce 4 mai, il est difficile d’oblitérer certains de ses évidents liens musicaux. Si TaxiWars débute live en 2014 -notamment à Gand et Liège-, l’intérêt de Barman pour le jazz s’est construit au fil du temps. Suffisamment sérieux pour qu’en 2012, Universal Belgique lui demande de compiler ses favoris du mythique label américain Impulse!: soit trois CD où l’on retrouve le jazz supérieur, parfois vocal, souvent allégorique, de Pharoah Sanders, John Coltrane, Sun Ra, Archie Shepp ou Max Roach.

« Oui, il y avait bien des noms qui traînaient entre nous, mais l’idée de TaxiWars était d’abord de tenter le format jazz court, des morceaux de trois-quatre minutes. Avec un trio et moi qui chante. » Vin blanc frais et clope, Barman est fidèle à lui-même dans les locaux d’Universal Belgique. Passion et frénésie: difficile de rester indifférent au mec même si au final, il ne nous fera pas la visite promise de la discothèque de son appart anversois. Peu importe. Barman semble avoir trouvé le yin de son yang en la personne du sax Robin Verheyen, de dix ans son cadet, Flamand exilé depuis 2007 à New York.

D’emblée, on pige vite que ce barbichu à lunettes possède les qualités de lyrisme et de puissance des sorties d’Impulse! et du meilleur jazz US. Celui qui continue à formater l’image -et le son- de l’Amérique des années 50 à 70. Mais il n’y a rien de rétro dans TaxiWars. Robin: « Quand Tom m’a parlé de son projet, j’ai aussitôt pensé à ce que je pouvais écrire, et pour qui. Il ne s’agissait pas de composer pour un chanteur accompagné d’un groupe de jazz. » Robin propose le gig à Nicolas Thys (1968), réputé pour sa basse savante, lui aussi ayant travaillé dans la Grosse Pomme, entre 1999 et 2007. Reste à décrocher le batteur et c’est Thys qui amène le jeune Liégeois Antoine Pierre, 22 ans, ces temps-ci en fin d’études à la New School For Jazz And Contemporary Music de… Manhattan. Pierre est d’ailleurs la révélation surdouée de TaxiWars: jeu concis et prolifique, fin et aérien.

Pas « fusion »

Tom aime cette situation nouvelle pour lui: concéder une partie du leadership à autrui. « C’est agréable pour différentes raisons: échapper à la pression, apprendre de nouvelles choses, pouvoir me concentrer sur le chant. Mais chacun est resté dans son monde: personne ne m’a demandé de me calmer. » L’album a cette température de cabin fever, ou le sentiment d’être dans un espace clos qui devient alors un lieu plus fermé qu’il ne l’est réellement. Terrain de fièvre et de claustrophobie scrutée. Barman: « Toutes les métaphores du voyage et du taxi conviennent (sourire), y compris pour les paroles. Let’s Get Killed est parti d’une aventure où dEUS jouait à Bangkok, en compagnie d’un groupe anglais assez connu que je ne citerai pas. Dans le taxi qu’on partageait, le chanteur a eu une crise d’identité assez marquée: la chanson parle des Anglais qui ne s’adaptent pas et des codes un peu prétentieux du rock. »

L’un des aspects les plus réussis du projet tient à son énergie boulimique et à la chorégraphie des voix: Tom chante en lead, s’amuse à changer son timbre original -par exemple en grizzly marmonnant supporté par les trois autres musiciens qui poussent le chant en supports angéliques. Les effets un peu fun du titre précité ou d’autres moments sont le résultat de bidouillages via un Octaver et d’autres delays-qui changent le timbre vocal- « sans que jamais cela ne puisse devenir un gadget ». L’enregistrement, bouclé en « trois jours » à l’ICP a ensuite bénéficié de quelques overdubs et d’un mixage lui aussi rapide, l’album se construisant vite, loin des mois nécessaires à dEUS. Tom: « Je ne supporte plus l’éternité en studio. Ici, les compositions étaient suffisamment précises pour savoir parfaitement où on allait. Avec dEUS, le procédé est de chercher et de trouver en chemin, mais je voudrais éviter la maladie du temps infini et des multiples options. TaxiWars, c’est vraiment comme je suis et (sourire) on évitera les mots « fusion », « crossover » ou « jazz-rock ».« 

RENCONTRE ET PHOTO Philippe Cornet

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