Survivre

De Frederika Amalia Finkelstein, ÉDITIONS L’Arpenteur/Gallimard, 140 pages.

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« Je tâte mes poches. Une forme rectangulaire se dessine sous mes doigts. (…) c’est mon téléphone. Je croyais avoir emporté un livre ce matin. J’ai eu tort. » Comment faire quand les mots « blessés » et « morts » reviennent sans cesse? Le soir du 13 novembre 2015, la narratrice, parisienne, comprend qu’une forme inouïe de guerre peut éclater en bas de chez elle. La guerre sur le smartphone, dans la tête, au coin de la rue. La jeune femme entre dans une spirale obsessionnelle, se confronte à la photo des corps dans la fosse du Bataclan, à la liste des disparus qu’elle apprend par coeur, dont elle colle les visages sur le mur de sa chambre. Se déploie alors le rapport de chacun à ces images, le caractère ambigu et implacable de la violence. Pour parer à l’angoisse et à la mélancolie, combattre le temps perdu à entretenir la peur, elle s’oblige à sortir tous les matins à sept heures, fait du sport, et n’a d’autre choix que d’affronter le présent pour continuer à vivre après les événements: « (…) soit je partage tout, soit je me mets à mentir. » Et de dire ce que ça fait de reprendre le métro le lendemain, de croiser tous les jours des militaires en armes, les questions soulevées par la vue d’un sac abandonné sous un siège ou sur le quai. Le deuxième livre de Frederika Amalia Finkelstein (L’Oubli) dérangera peut-être ceux qui pensent qu’il faut « parler d’autre chose », qui pensent « de quel droit? »… Reste que c’est peut-être aussi un devoir… En recherche (parfois maladroit, toujours habité), ce court texte de colère, radical et vibrant, décrit le contexte anxiogène d’une génération -la nôtre- qui a vécu des dizaines de minutes de silence. « Pour l’instant les livres me protègent. J’y ai placé ma foi. »

F.DE.

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