DU 18 JUILLET AU 29 AOÛT, LA CINEMATEK BALAIE L’ESPACE AMÉRICAIN À LA FAVEUR DU CYCLE ROAD-MOVIE, USA, D’APRÈS LE TITRE DE L’OUVRAGE DE JEAN-BAPTISTE THORET ET BERNARD BENOLIEL. CONCEPTEUR DU PROGRAMME, CE DERNIER EN LIVRE QUELQUES CLÉS… RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

2012, odyssées de l’espace: l’événement cinématographique de l’été, c’est assurément le cycle que consacre, près de deux mois durant, la Cinematek au road-movie américain. De celui-ci, c’est peu dire qu’il a nourri les fantasmes de générations de cinéphiles, suivant une route qui conduirait de Easy Rider à The Vanishing Point, et bientôt jusqu’à Paris, Texas ou My Own Private Idaho; et d’autres encore, le ruban de bitume semblant devoir se dévider à l’infini -démonstration, d’ailleurs, au gré d’une programmation dont les chapitres sortent allègrement des sentiers battus, pour embrasser une perspective allant de The Immigrant de Chaplin à 2001 de Kubrick; des Raisins de la colère de Ford au Route One USA tourné en 1989 par Robert Kramer, parti à la rencontre du peuple américain en un écho déformé au New York – Miami de Frank Capra, quelque 50 ans plus tôt.

En amont de ce programme, on trouve Road-Movie, USA, « essai de comprendre un peu les Etats-Unis par le road-movie et vice versa », un ouvrage essentiel cosigné par Jean-Baptiste Thoret et Bernard Benoliel ( lire par ailleurs). Poursuivant la démarche, ce dernier a sélectionné la trentaine de titres qui composent ce menu estival et qui ajoutent aux films emblématiques quelques pépites méconnues façon The Swimmer de Frank Perry ou encore Jackson County Jail de Michael Miller, road-movie au féminin et l’une des multiples déclinaisons d’un genre par essence en mouvement. « Définir le road-movie, c’est un peu une gageure, commence Bernard Benoliel, alors qu’on le retrouve à la Cinémathèque française. C’est un genre qui n’en est pas exactement un, et qui arrive très tard dans l’histoire du cinéma. On a tendance, en écrasant les perspectives historiques, à considérer qu’il naît autour de Easy Rider , entre 69 et 70, date à laquelle il trouve son nom, mais il a des traces plus anciennes. Dans la nomination, il arrive après tous les genres constitués, et surtout, après le western. En même temps, le road-movie est un sur-genre, parce qu’il renoue avec ce qui fonde les Etats-Unis, la culture de la route. L’histoire américaine, c’est un espace à conquérir et dans lequel il faut s’étendre. De ce point de vue, le road-movie coïncide avec un peu de l’histoire et de l’espace américains. Si on devait essayer de le définir en tant que tel, je dirais qu’il est au croisement de trois notions américaines: l’espace, la liberté qui y est associée et le peuple, dans sa vision fantasmée d’un peuple uni qui, ensemble, s’en va conquérir un pays de lait et de miel. Avec aussi l’idée qu’indépendamment et en plus du projet collectif, il y a la possibilité de s’accomplir et de se réaliser soi. »

Mouvement paradoxal

Soit un champ géographique restreint pour une perspective élargie, en un paradoxe à l’image de ceux qui pavent la route du road-movie. Cette assise contradictoire, on en trouve déjà la trace dans… The Wizard of Oz: « Beaucoup de films des années 70, comme Alice Doesn’t Live Here Anymore ou Boxcar Bertha de Martin Scorsese, ou par la suite Sailor et Lula de David Lynch, font référence au Magicien d’Oz , comme s’ils l’avaient eux-mêmes identifié comme une origine ou une filiation possible. Si ce film est si important, c’est sans doute parce qu’il est pris lui-même dans une logique contradictoire: Dorothy chante Over the Rainbow et rêve d’aller voir ce qui se passe ailleurs que dans son Kansas natal, et se dit: « Moi aussi, l’espace m’est promis. » Elle fait un trajet initiatique qui va lui apprendre des choses, dont l’une sera que tout ce qu’elle a appris, elle le savait déjà. Mais il fallait faire le voyage pour découvrir qu’il n’était pas nécessaire de l’entreprendre. Cette logique contradictoire justifiera paradoxalement l’idée de se mettre en route et l’élan. » Ce n’est pas tant le but que le voyage qui importe, constat auquel se greffe le fantasme du « home » que l’on trouvera en chemin ou que l’on retrouvera au retour, et dont les road-movies des années 70 offriront la vision tragique.

Si le genre connaît alors son âge d’or, on peut y voir de multiples raisons, l’une tenant à l’essoufflement objectif du western, devenu anachronique. « Le road-movie fantasme et projette énormément sur le western, qu’il entend reprendre, c’est-à-dire le continuer et en même temps le critiquer, tout en l’accomplissant », observe encore Benoliel. Une autre raison découle, bien sûr, de l’émergence de la contre-culture et de l’avènement du Nouvel Hollywood: « C’est tout Hollywood qui change à la fin des années 60. Quand arrive un film comme Bonnie and Clyde , qui est déjà un road-movie, on comprend qu’une autre économie et un autre rapport au public sont possibles. Les films du Nouvel Hollywood, produits, joués et mis en scène différemment, et le sous-genre du road-movie, sont synchrones avec leur époque. » Jusque, d’ailleurs, dans leur principe de désenchantement, à l’£uvre dès Easy Rider: « Au début des années 70, le road-movie est complètement contemporain de la guerre au Vietnam et du désenchantement politique lié au Watergate. Il y a un désir contre-culturel profondément américain d’écrire une histoire juste de l’Amérique (jusqu’à accéder à la question indienne, ndlr) , et en même temps une réalité politique désespérante… »

La mort aux trousses, déjà

Période faste, où les Hopper, Rafelson ( Five Easy Pieces), mais aussi Hellman ( Two-Lane Blacktop) ou autre Sarafian ( The Vanishing Point), donnent au road-movie ses lettres de noblesse. Un feu de paille, pourtant, qui les verra pour la plupart se brûler les ailes. Si le Nouvel Hollywood ne survivra pas à l’échec retentissant de Heaven’s Gate, le road-movie entame pour sa part les années 80 au ralenti: « Il s’est égaré, mais il s’est surtout essoufflé. Et il en a eu conscience, devenant à son tour hybride. On voit des croisements avec le film d’horreur, comme dans Near Dark de Kathryn Bigelow, dont les personnages sont des vampires en quête de sang. Le sang remplace l’essence, et le genre horrifique vient faire une transfusion au road-movie. Ou alors Lost in America d’Albert Brooks, qui est un croisement de road-movie et de comédie. Le grand film des années 80, qui vient postuler que le road-movie est essoufflé, c’est Paris, Texas. « 

Depuis, le road-movie a emprunté des routes incertaines -réinventé, à leur manière, par un Van Sant, un Jarmusch ou un Lynch. Ou se déployant dans des horizons géographiques différents, de l’Argentine à la Belgique, à la recherche de quelque trace de la mythique Frontière, ou d’autre chose encore.

« Il y a des road-movies espagnols, italiens, français… Mais j’ai l’impression qu’on est plus là face à des films que face au cinéma, relève Benoliel à cet égard. On est plus face à des objets singuliers qui ne peuvent pas, ou de manière marginale, faire levier sur l’histoire et l’espace comme le road-movie américain peut le faire avec l’espace et l’histoire américains. »

Quant à en esquisser l’avenir? « Le road-movie américain aujourd’hui ne peut plus se reproduire à l’identique. Tous les films auxquels on assiste, que ce soit Little Miss Sunshine ou même On the Road de Walter Salles, sont à mon avis dans une forme d’impasse parce qu’ils sont dans la reconduction d’un fantasme à l’identique de la route telle qu’on la prenait au moment des années 70, par exemple, qui était déjà un peu anachronique. Le film qui a vu cela avant tout le monde, c’est La mort aux trousses de Hitchcock, en 1959. Il comprend qu’il n’y a plus de voyage, il n’y a plus que du tourisme, et que si l’on croit voyager, tout est planifié: là où on pense arriver par hasard, c’est en fait dans un but bien précis, on est déjà pris dans des flux, des réseaux. Dans le livre, notre hypothèse, c’est que le road-movie a un avenir, mais virtuel. C’est plutôt du côté de la représentation des autoroutes de l’information, comme l’on disait avant, ou du 2.0, que se trouve aujourd’hui la possibilité d’expérimenter une liberté. Un film comme Tron l’héritage est symptomatique de cet horizon virtuel possible. »

CYCLE ROAD-MOVIE, USA, DU 18 JUILLET AU 29 AOÛT, CINEMATEK, À BRUXELLES.

BERNARD BENOLIEL PRÉSENTERA LE PROGRAMME LE 20 JUILLET, EN PRÉLUDE À LA PROJECTION DE SAILOR ET LULA DE DAVID LYNCH.

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