CINQUANTE ANS APRÈS SA MORT, MARILYN MONROEHANTE ENCORE LES COULOIRS DE LA LITTÉRATURE. APRÈS FRAGMENTS, LA REDÉCOUVERTE DE SA CONFESSION INACHEVÉE MONTRE QUE NORMA JEAN N’A CESSÉ D’ALLUMER LA FICTION…

L’année dernière, la publication événement de Fragments ouvrait une brèche. Sous une vaporeuse reproduction de la star en noir et blanc, on assistait, dans ce mélange embarrassant de fascination et de voyeurisme, au dévoilement des écrits privés de Marilyn Monroe. Une élégante parution en fac-similé qui reproduisait, dans une vérité nue mais tamisée, ses carnets intimes, lettres, poèmes et autres notations nomades sur des feuillets à en-tête d’hôtels. Son écriture effusive, ses crayonnés embrouillés, ses indécisions en ratures et ses remords en pointillés, tout y témoignait de sa sensibilité à l’écriture. Un intérêt littéraire et un manque de confiance en elle qui la poussèrent à exiger, dès 1954, les conseils d’un écrivain -Ben Hecht, scénariste prisé et hyper prolifique à Hollywood- pour l’écriture d’authentiques mémoires. L’aventure sera de courte durée, Marilyn l’interrompra brusquement après 35 chapitres seulement pour continuer à voguer, à l’aube incertaine de ses 29 ans, entre tentatives de normalité, fulgurances et nuit noire. Les quelque 200 pages délaissées constitueront, à sa mort en 1962, son unique et définitive tentative de se raconter elle-même. Difficile de croire que, après une parution éclair en 1974 -12 ans après sa mort-, le livre soit ensuite resté introuvable pendant plus de 30 ans… Un oubli symptomatique -redoutait-on de découvrir que Marilyn avait une voix?- aujourd’hui réparé avec la réédition de sa Confession inachevée.

Naissance de Vénus

Régulièrement dupliquée, sublimée, floutée dans une panoplie de romans en forme de fausses biographies mais vrais objets littéraires, l’image de la divine a aujourd’hui à s’ajuster à son négatif d’origine. L’instant est sensible. Le document pourrait s’avérer gênant, sa teneur en réalité reprendre jalousement le pas sur le roman. Premier constat: le récit est sans emphase. Léger, presque atone, il déroule sans pathos l’enfance miteuse de Norma Jean, le surplace dans l’étendue des recalés d’Hollywood, ses relations ultra conflictuelles avec les femmes, la cour assidue de dragueurs de seconde zone, sa découverte insensible du sexe. Un passage en revue doucement ironique qui ne laisse pas moins entrevoir les questionnements identitaires, la vertigineuse solitude, les ambitions démesurées de la jeune femme. Sa redoutable lucidité, surtout:  » Oui il y avait quelque chose de spécial chez moi, et je savais ce que c’était. J’étais le genre de filles qu’on retrouve morte dans une chambre minable, un flacon de somnifères vide à la main.  » Lentement, le récit aiguise la sensation qu’elle accroche un grain de lumière différent, évolue dans le monde sous une couleur distincte. Un jour, Norma Jean, adolescente, enlève son pull sur la plage. Une révélation. Entre les coups de sifflet et les regards écumants, elle renaît façon Vénus à une version schizophrène d’elle-même: « … une étrange sensation m’avait envahie, comme si j’avais été scindée en 2 personnes distinctes. L’une, Norma Jean, de l’orphelinat, n’appartenait à personne. L’autre, j’en ignorais le nom. Mais je savais où était sa place. Elle appartenait à l’océan, au ciel, au monde entier. «  Au centre de cette intime conviction, la création d’un personnage avant l’heure.  » Je tombai amoureuse de moi-même -non pas de celle que j’étais mais de celle que j’allais devenir.  »

Second souffle

On touche là au point le plus fascinant de sa Confession et à un second souffle de lecture: reconnaissant que son histoire ne lui appartient plus, Marilyn ouvre la voie aux réinterprétations comme à de naturels débordements d’elle-même. Jamais, sans doute, on n’a approché d’aussi près le vrai timbre de voix de Marilyn. Jamais elle ne nous a autant murmuré de nous en distancier… Enveloppe destinée à la mue artistique, surface en miroir sublimant toutes les projections, Monroe n’a cessé d’allumer la fiction. Faisant en particulier de son monde intérieur un terrain d’expérimentations brûlant pour romanciers, et de sa Confession in-achevée un récit qui en engendre d’autres en gigogne, toujours plus puissants, plus hallucinés, plus littéraires. Le livre se clôt au lendemain de son mariage avec Joe DiMaggio. Une histoire d’amour ratée qui en préfigure d’autres, et dont elle parle avec une insatisfaction qui dessine les contours de sa propre fin:  » C’est toujours délicieux quand ça commence, toujours palpitant. Mais ça finit toujours dans la tristesse.  » Sa Confession est à l’image de Marilyn: urgente, inachevée, trop vite éteinte. Sans conclusion pour venir débouter les fantasmes, dans un flottement conducteur de littérature. La nuit se referme sur Marilyn. La veilleuse de la fiction prend le relais… l

Confession inachevée DE MARILYN MONROE, EN COLLABORATION AVEC BEN HECHT, ÉDITIONS ROBERT LAFFONT, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA).

TEXTE YSALINE PARISIS

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