Les premiers (à Cannes) seront les derniers (au box-office). Ce n’est pas une loi physique mais statistique: décrocher la lune sur la Croisette ne garantit pas, sinon jamais, des lendemains qui chantent. Une Palme d’or astique les cuivres de la notoriété, accorde un visa pour l’éternité, mais fait un bien piètre engrais pour la récolte future. L’effet Palme d’or existe, mais il est limité. Juste de quoi tenir l’affiche quelques semaines là où la loi du marché mettrait le holà après un tour de piste. Mais même avec ce petit coup de pouce, les recettes font pâle figure à côté du « cash flot » des blockbusters. Une malédiction qui frappe, à quelques nuances près, tous les lauréats des dix dernières années, de L’éternité et un jour (1998) à Entre les murs (2008), qui a juste fait un carton en France, en passant par La chambre du fils (2001) ou Le vent se lève (2006). Et ce n’est pas le dernier palmarès qui va nous faire mentir. En couronnant Le ruban blanc de l’Autrichien Michael Haneke (dont on lira l’interview en page 12), la chabrolienne Isabelle Huppert et ses complices ont porté aux nues une £uvre majeure. Mais ils ont aussi choisi un film dont le pronostic vital en salle est réservé avant même sa sortie. Un sujet âcre comme la peste brune qui l’inspire, un parti pris esthétique radical, un réalisateur certifié antiglam… A l’heure où le public préfère mettre sa tête dans le sable du divertissement plus léger que l’air pour fuir la morosité suffocante du quotidien, le pari de l’audace formelle et de l’étude des mécanismes de la haine est loin d’être gagné… Reste cette question entêtante: pourquoi les films mis en avant à Cannes, qui sont censés être les meilleurs du monde, n’auront droit qu’aux miettes que les productions bodybuildées, souvent niaises et insipides, leur laisseront? Un peu comme si dans un restaurant, les clients boudaient systématiquement les mets les plus réputés de la maison pour leur préférer des plats trop salés et trop gras… De deux choses l’une: ou bien le public a décidément très mauvais goût. Ou bien il est d’un raffinement si exquis qu’il ne boit le nectar qu’avec parcimonie, pour mieux en savourer tous les arômes (biffez la mention inutile). Grâce soit en tout cas rendue à ce festival qui, au-delà de l’étalage de toilettes griffées et d’ego surdimensionnés, continue à prêcher dans le désert son addiction à un cinéma déroutant, intelligent, intraitable. l

Par Laurent Raphaël

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