Le réalisateur d’Irréversible nous offre avec Enter The Void une expérience visuelle et sensorielle intense, onirique et physique à la fois.

Nous l’avions quitté voici quelques années dans le tumulte cannois, en pleine controverse causée par la projection en sélection officielle de son Irréversible. Nous retrouvons Gaspar Noé dans la quiétude d’une chambre parisienne, loin du bruit et de la fureur festivalière, loin aussi du Tokyo où il a tourné Enter The Void. Nouvelle et passionnante étape dans la trajectoire du plus singulier cinéaste français de sa génération, ce film en forme de trip halluciné, planant et riche d’émotions comme de sensations inédites, confirme les ambitions d’un artiste ne craignant pas la marge (que du contraire!) et explorant le potentiel du 7e art avec une audace n’ayant d’égale que son inspiration.

Votre nouveau film s’inscrit dans une démarche dont la radicalité ne se dément pas, même si Irréversible passait par la case stars et grosse sortie commerciale.

Irréversible est une sorte d’accident. Je pensais faire ce film-ci, Enter The Void, après Seul contre tous. Mais il fut très difficile de le faire financer, car c’est un film sans acteur connu, un film long, plein de visions oniriques ou cauchemardesques, et ne comportant aucun jugement moral sur quoi que ce soit… Pas vraiment acceptable pour tous les psychorigides que les hasards de la vie ont mené à la tête d’une chaîne de télévision ou d’une compagnie cinématographique, et qui s’arrogent le droit de juger ce qui est bon à montrer ou pas, ce qui est bien et ce qui est mal. Irréversible est un accident du système, qui est régulièrement rediffusé à la télé, qui rapporte plein d’argent, et qui devient -du coup- moral pour ce petit monde n’ayant pour horizon que l’appât du gain… Sa rentabilité m’a permis d’enfin pouvoir réaliser Enter The Void. Et son tournage m’a permis de tester des choses techniques, des mouvements de grue notamment, qui m’ont été utiles ensuite sur le nouveau film. Le système m’a servi, mais pourquoi m’asservirais-je à lui alors même qu’il ne l’exige pas de moi?

Après la parenthèse Irréversible, votre nouveau film vous voit renouer avec des personnages de marginaux…

Les personnages d’ Enter The Void n’ont en effet rien d’héroïque. Ce sont des losers, un peu comme le boucher de Seul contre tous. Le mec dans Enter The Void galère. La vie ne l’a pas bien traité. Il y a eu cet accident de voiture où il a perdu ses parents, un peu comme le mec de Seul contre tous était remis à l’assistance sociale quand il était gamin. Il essaie bien de faire du mieux qu’il peut, au présent de ce qu’il vit. Sauf qu’il exerce une activité interdite, punissable, et que tout se met à foirer. Pas qu’il ait de mauvaises intentions. Juste parce qu’il a une capacité de jugement proportionnelle à son éducation…

Enter The Void établit un lien quasi organique entre le regard et les décors que la caméra explore en plongée…

C’est un film plus architectural, plus structuré, que ne l’étaient Irréversible et Seul contre tous. Le rapport aux décors est intense. On peut avoir l’impression de regarder 2 petites billes évoluant dans un flipper plus grand que la vie, un flipper qui les broie comme le système peut broyer les gens…

Même s’il a sans aucun doute nécessité une préparation très précise, techniquement parlant, le film communique sur un mode extrêmement sensuel…

A partir du moment où tu tournes dans des décors réels, et pas dans un studio comme le faisaient par exemple Fassbinder dans Querelle ou Fellini dans Casanova, à partir du moment où tu t’ancres dans la réalité, tu ne files pas vers l’expressionnisme, mais vers une forme de réalisme onirique, psychédélique même vers la fin. J’ai bien sûr retravaillé les images en postproduction, mais beaucoup moins que je ne l’avais imaginé au départ. J’ai eu beaucoup de chance avec les techniciens, car le risque était grand. C’est le genre de film qui peut facilement exploser en vol. Les risques étaient énormes, mais tout le monde a contribué à fond, et même les accidents de tournage ont ajouté des choses précieuses. Pierre Buffin, qui avait réalisé entre autres les effets spéciaux de 2046, Matrix et Fight Club, a coproduit le film, en accord avec moi pour en faire un spectacle hors norme, à rebours des films à effets spéciaux habituels, qui sont généralement hyper calibrés, sous-tendus par l’opposition du bien et du mal, et la figure du héros. Notre liberté a été garantie aussi par la modestie du budget. Enter The Void a l’air d’avoir coûté beaucoup plus cher qu’il n’a coûté en réalité…

Malgré la nature quasi expérimentale du film, les partis pris visuels apparaissent très clairement au spectateur…

Sur le papier, ce n’était pas vraiment clair. On me disait que les gens n’allaient pas comprendre. Mais face au film, aux images prises de la grue, les spectateurs comprennent parfaitement que la caméra, c’est le regard du mort. Les jeunes, surtout, captent immédiatement. C’est entre 15 et 20 ans qu’on prend des acides, de l’ecstasy, et qu’on fume des joints! C’est aussi à l’adolescence qu’on peut se sentir à côté de sa vie, près de la limite, dans ce flottement existentiel qu’on retrouve dans le film. Et puis il y a la drogue. Les gens qui n’en ont jamais pris, qui ont trop peur de la perte de contrôle, détestent généralement le film… Pour moi, la drogue, ce n’est pas le diable.

Votre film est une expérience sensorielle, voulue comme telle?

Oui. Une expérience physique autant que mentale. J’avais dans la tête la fin du 2001 de Kubrick, les films expérimentaux de Kenneth Anger comme Inauguration Of The Pleasure Dome.

Un prochain film en vue?

On m’a proposé de faire un film érotique. Mais un film érotique qui soit érotisant. Pas un film d’auteur avec des séquences érotiques, mais un film érotique à fond, où le sexe n’est pas simulé. Et en 3D, si les essais techniques auxquels je vais procéder se révèlent concluants. Je veux être certain que la technique ne prendra pas le dessus, car elle épuiserait vite l’énergie du plateau… l

Rencontre Louis Danvers, à Paris

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