Immense vedette pop avec Déjeuner en paix, Eicher croise notre route depuis un quart de siècle. Impressions caméléonnes avant son concert en trio au Théâtre 140.

Printemps de Bourges 1984. Un garçon avec une chemise noire cow-boy et un visage coupé au couteau prend la scène, seul devant quelques machines. J’ai de la fièvre et ce premier concert de Stephan Eicher ne va rien arranger. Choc septique garanti avec ce jeune Européen issu d’une famille helvético-germano-tzigane aux prises avec un héritage à la fois viscéralement continental et puissamment nord-américain. Eicher reprend le In The Ghetto de Presley – alors au sommet de son impopularité post-mortem – et en fait un électro-blues foudroyant, offrant l’improbable lien entre Memphis et Berne, entre la gospelisation du monde et sa mise sous vide alpestre. Son arme: une vague de guitares et de sequencers primitifs.

Eicher est seul en scène mais la remplit d’une nouvelle musique qui préfigure la digitalisation sans oublier les fondateurs blacks. Ce yin et yang rock, Eicher ne va cesser de le cultiver, trouvant assez vite dans l’écrivain Philippe Djian un partenaire inattendu qui l’accompagne au sommet des hit-parades francophones avec Déjeuner en paix ou Pas d’ami comme toi. Commercialisation qu’il va éviter, si pas saborder, par un parcours où l’étranger et les rencontres, servent de moteur créatif premier. Qu’il tourne en Asie du Sud-Ouest pour des concerts soutenus par l’Alliance Française ou se lance dans une tournée où apparaissent les saltimbanques roumains du Taraf de Haïdouks, Eicher est toujours lui-même.

Fin des années 80, on le croise aux studios ICP où il enregistre avec Moondog (1), puis à un mariage semi-people, puis en tournage à la Gare du Nord de Bruxelles, parlant de ses désirs au milieu de gosses turcs du quartier. Une décennie a largement passé et Eicher ne fait plus crier les minettes, peut-être seulement leurs grands frères.

Le rénovateur

Francos de Spa été 2008. Physiquement, il n’a pas changé. Seuls les cheveux ont pris un peu plus de gris. La superbe salle du casino spadois est pleine d’un mélange hétéroclite de quadras-quinquas fidèles et de curieux. Pendant plus d’une heure, juste accompagné par deux multi-instrumentistes suisses comme lui, Eicher donne un concert résolument novateur. Glissant entre l’acoustique de sa six cordes et des dissonances blitzkrieg, l’ex-jeune homme explore les territoires de ses anciennes et récentes chansons en les mettant dans des arrangements radicalement nouveaux. Le résultat est à la fois jubilatoire et explosé, avec des breaks audacieux, notamment lorsque les deux comparses changent, en courant, de batterie. Un artiste qui transforme ses rêves est un artiste qui vit: avec Eicher – né le 17 août 1960 – on en a encore pour un bout de temps…

(1) Musicien américain (1916-1999), il a été artiste de rue pendant plus d’un quart de siècle, surprenant les passants avec son style inclassable. Il est aussi un authentique maître du contrepoint.u En concert le 10/10 au Théâtre 140 à Bruxelles et le 11/10 au centre Culturel de chênee.u www.stephaneicher.com

Philippe Cornet

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