Tribu de musiciens paraplégiques, au Bota le 11/12, Staff Benda Bilili a sorti l’album world de l’année. Un mélange de rumba congolaise, de musique cubaine et de rhythm’n’blues. Très très fort.

« Je suis né costaud mais la polio m’a rendu infirme. Regarde-moi aujourd’hui. Je suis vissé à mon tricycle. Je suis devenu l’homme avec les cannes. En enfer avec ces béquilles. Parents, s’il vous plaît, allez au centre. Faites vacciner vos enfants contre la polio. S’il vous plaît, sauvez-les de cette malédiction. »

La presse représentant, comme ils disent, l’esclave du pouvoir, ils sont un peu les nouveaux journalistes de Kinshasa. Depuis des années, avec bien plus d’enthousiasme et de talent que de misérabilisme, les membres de Staff Benda Bilili se déplacent sur leurs tricycles customisés façon Mad Max et chantent dans les rues ce qu’ils connaissent mieux que quiconque: la lutte quotidienne pour survivre. Dégoter un toit. Trouver un repas. La polio aussi. Eux qui, frappés par la maladie, ont perdu depuis longtemps l’usage de leurs jambes.

 » L’OMS a permis d’améliorer la situation en nous envoyant des médecins, des médicaments. Les handicapés aujourd’hui à Kinshasa ne s’en sortent pas trop mal. Mais nous, nous sommes des vieux de la vieille. De notre temps, il n’y avait pas de kiné et on rencontrait très peu de médecins, se souvient Ricky avant d’insister sur le fait qu’il n’est pas un politicien. A travers nos chansons, nous cherchons juste à faire passer un message, à conseiller. Nous voulons éduquer. » Staff Benda Bilili, ça veut dire « mets en valeur ce qui est dans l’ombre ». Et Ricky, 55 ans, est le chef de la tribu. Un dur. Un ancien caïd rangé des voitures. Il y a peu, il vendait encore des cigarettes et de l’alcool à la sortie des boîtes de nuit. S’il a souvent dormi à la belle étoile, il est toujours bien fringué.  » Parce qu’un homme, ça doit être élégant. » Ricky est l’ami et le conseiller des dépossédés. Ses lois: être fort, toujours rester digne, ne jamais mendier.

 » A Kinshasa, notre quotidien est compliqué. Nous jouons dans la rue. Nous y passons même souvent la nuit. Longtemps, personne ne nous a aidés. Nous faisions du business. Vivions presque tous du trafic. Nous avons pris conscience que nous pourrions tirer quelque chose de notre musique, tourner à l’étranger, quand nous avons réalisé que les touristes européens aimaient beaucoup ce qu’on faisait.  » Du rumba blues, comme dit Coco. Coco est le compositeur du groupe. Il possède une voix profonde, renversante. A travaillé comme charpentier et gagne souvent des concours de bras de fer.

 » Gamins, nous étions choristes à l’église, retrace Ricky. Et quand nous avons réalisé que la vie était difficile, nous nous sommes mis à jouer devant les bars et les restaurants. Là où les blancs mangent, boivent une bière et sont prêts à nous écouter en nous donnant un petit quelque chose. Attention. Sans qu’on le leur demande. Enfants, nous aimions James Brown, Johnny Hallyday. C’est donc ce que nous leur jouions. Une musique européenne, occidentale. On les entendait dire: ils jouent bien là les handicapés. »

Instruments de fortune

Poursuivons les présentations. Théo est fan de Bob Marley. Sa famille a été ruinée à la chute de Mobutu et il s’est mis à travailler comme électricien. Kabose, qui se démène sur scène porté par ses béquilles, est l’animateur, comme on dit dans la musique congolaise. En gros le MC. Celui qui déchaîne les foules. Quant à Cavalier, le bassiste, l’un des trois valides, il s’occupait des chevaux du président. Roger, le gamin, n’a pas 20 ans. Virtuose de la débrouille, il est un peu le Jimi Hendrix de la boîte de conserve. Ancien shégué, un de ces enfants abandonnés qui vivent en bande dans les rues de Kinshasa (ils seraient 40 000 dans ce qu’on appelait jadis Léopoldville), il a créé son propre instrument, le satonge, avec une boîte de lait concentré et un fil de fer. Montana, lui, a étudié la musique.  » J’ai fabriqué moi-même ma batterie avec du bois, des bouts de métal récupérés sur des parasols troués.  » Comme ses compagnons, il n’était jamais sorti du Congo avant les premières dates de Staff Benda Bilili en France l’été dernier.

 » Les Africains d’Europe sont bluffés quand ils nous voient en concert, tonne Ricky. Ils sont épatés que ça vienne de chez nous. Beaucoup comprennent nos textes. »

Des textes écrits en lingala, kikongo, swahili.  » A travers ce premier album, nous avons voulu nous exprimer dans notre langue nationale. Mais ensuite, nous chanterons en français, en anglais. Nous allons faire le tour du monde. Nous voulons être compris par tous. Même si avec les Japonais, ça risque d’être difficile« , rigole le patron. Influencé par le reggae, le funk et les musiques cubaines, Très Très fort tranche avec le ndombolo, la musique kinoise standardisée. Il a été enregistré avec le Belge Vincent Kenis (Konono N°1, Kasai Allstars). En partie dans les jardins du zoo de Kinshasa où le groupe a l’habitude de répéter. Les grands animaux ont disparu. Mangés pendant la guerre civile. Mais en tendant l’oreille, on peut entendre une chorale de grenouilles.

Embarquement immédiat

Si certaines chansons de Staff Benda Bilili prodiguent des conseils pour vivre avec le handicap, d’autres s’adressent plus largement à la population congolaise. En 2005, peu avant les premières élections démocratiques du pays depuis 1960, le staff appelle à la mobilisation et écrit Allons Voter. Soucieuse de pousser la population locale à se rendre aux urnes, la Mission de l’Orga-nisation des Nations unies en République démocratique du Congo décide de l’enregistrer. Le morceau rencontre un tel succès que certains attribuent en partie au SBB le taux élevé de participation. 70 % des inscrits.

 » Nous n’avons jamais touché l’argent que l’ONU nous avait promis, assure Ricky. D’ailleurs, nous avons porté plainte. J’ai mis un avocat sur le coup. »

Pas toujours facile. Récemment, un membre du Staff n’a d’ailleurs pu quitter le Congo. On lui réclamait 500 dollars de bakchich avant de prendre l’avion. Le groupe de Kinshasa n’en a pas moins déjà embarqué pour le succès.

Rencontre Julien Broquet, à Paris.

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