PIONNIER AVEC KRAFTWERK, KARL BARTOS CONTINUE D’EXPLORER L’ÉLECTRONIQUE. AVEC AUJOURD’HUI, L’IMAGE EN PLUS. RENCONTRE AVANT SON PASSAGE AU BRUSSELS SUMMER FESTIVAL.

J’ai la chance d’avoir contribué à l’écriture de 2, 3 chansons qui ont eu un certain impact. Il y a toujours quelqu’un dans le monde qui joue The Model ou The Robots.  » Dans le lobby du palace bruxellois, Karl Bartos sourit. Aucune forfanterie à dénoncer: en intégrant Kraftwerk dès 1975, le percussionniste de formation a en effet participé à la grande révolution électronique. En quelques albums, entre avant-garde et mélodies robotiques, les Allemands ont écrit le futur. Difficile d’imaginer la musique populaire actuelle sans Trans-Europe-Express ou The Man-Machine.

Officiellement, Kraftwerk est toujours actif. Karl Bartos, lui, a quitté le groupe dès 1990. Ses obsessions sonores n’ont pas pour autant changé. Il prépare d’ailleurs un nouvel album électronique, et collabore avec le Belge Jean-Marc Lederman, producteur et compositeur de musique pour jeu vidéo.  » J’avais lancé un concours sur mon site Web. J’invitais les gens à soumettre leur remix, leur film, ou même des idées graphiques. Il était l’un d’eux. On a commencé à s’échanger des e-mails, et à discuter sur Skype. Finalement, en novembre, j’ai joué à Bruges et on a pu se rencontrer dans la « vraie vie » (rires).  »

Né à Berchtesgaden en 1952, Bartos vit actuellement à Hambourg.  » A mes yeux, la plus belle ville d’Allemagne.  » Pas Berlin donc. « J’y ai travaillé pendant 5 ans. Je donnais cours, à l’université: « sound studies ». Mais je faisais les trajets. Berlin, c’est une ville très cool si vous avez 20 ans, plein d’idées et que vous voulez sortir tous les soirs… Mais c’est très compliqué d’y démarrer quelque chose. Il y a énormément de compétition. Un peu comme à New York, où tout le monde veut être acteur, à Berlin, tout le monde est DJ. En fait, c’est juste une grosse bulle de sous-culture. C’est bien. Mais il n’y a pas grand-chose que je puisse encore en tirer.  »

A Berlin, Bartos aura quand même eu l’occasion de creuser son nouveau dada: la combinaison du son et de l’image. Au point de se rebaptiser « musicien visuel ». Comme si le son ne suffisait plus?  » Le son est une chose magnifique, mais notre culture a tellement changé. D’une société centrée sur le mot, on est passé à une société centrée sur l’image. Les jeunes sont habitués à recevoir et concevoir le son et l’image en même temps. Ma génération, elle, a grandi avec… les « films acoustiques ». C’était comme ça que Frank Zappa présentait par exemple son album Hot Rats. Et quand vous l’écoutez, c’est ça! Cela avait aussi à voir avec les drogues, j’imagine… (sourire). C’est Stockhausen qui disait encore: « Si vous fermez les yeux, vous verrez plus.  » Mais aujourd’hui, cela n’a plus de sens. Le son n’est plus qu’une partie de la perception générale. »

Le prochain album de Björk, dont chaque morceau sera accompagné de son visuel via une application iPad, en est une preuve supplémentaire.  » C’est marrant parce qu’à Berlin, les étudiants que j’avais en face de moi n’étaient pas vraiment musiciens, ni vraiment designers graphiques, ni vraiment journalistes, mais quelque chose à l’intersection. Ce qu’ils peuvent faire, c’est ouvrir un laptop et emmagasiner plein de musique. Ils sont connectés en permanence. Mais ils tirent tous leurs influences du même contexte. Ce qu’ils font, c’est recycler. Ils veulent moins créer une nouvelle musique que développer des nouveaux softwares, des outils inédits.  » Lui-même a d’ailleurs mis le doigt dans l’engrenage. Avec Jean-Marc Lederman et le Japonais Masayuki Akamatsu, ils ont mis au point une application pour iPhone, une sorte d’outil de composition aléatoire.  » Bah, à la base, l’objet en lui-même ne m’attire pas particulièrement. C’est tellement petit. Mais je ne voulais pas non plus passer à côté. On a mis au point une application sur base de quelques-uns de mes drum beats. Après, c’est juste un « produit dérivé ». C’est gratuit, les gens peuvent chipoter avec. C’est juste un jouet en fait.  »

Futur antérieur

Avec Kraftwerk, Bartos a pondu une pop d’anticipation, y glissant par la bande tout un discours sur la technologie et l’avenir de l’Homme. A l’époque, on craignait encore de voir l’humain se soumettre au robot. Aujourd’hui, c’est plutôt la machine qui semble se faire toujours plus humaine -avec Internet, par exemple, de plus en plus monopolisé par les réseaux sociaux. Le futur n’est plus ce qu’il était? Le (co-)auteur de Radioactivity se lance:  » Si vous considérez par exemple les GSM. Tout le monde s’envoie des messages. Mais que disent-ils? « Je suis dans le train « , « J’arrive dans 1 h 30 « … Je vois comment on peut faire du business avec tout ça, mais je ne perçois pas forcément les progrès qu’on a accomplis. A mes yeux, ce n’est ni bon ni mauvais en soi. Mais cela n’aide pas… En même temps, depuis Fuku-shima, il y a par exemple un courant dans l’opinion publique allemande qui veut fermer les centrales. Une majorité de gens n’en veut plus. C’est la première fois que cela arrive! Je crois que c’est la première fois aussi dans ma vie que je suis fier de notre société.  » Vraiment?  » Oui! Vous savez, se trimballer avec un passeport allemand n’est pas toujours très drôle. Cela va mieux. Mais quand j’ai débarqué pour la première fois aux Etats-Unis dans les années 70, tout le monde faisait encore des blagues, en vous saluant par un Heil Hitler… Après le cauchemar des années 30-40, c’est difficile d’être fier de notre nation. Je ne peux toujours pas comprendre comment cela a pu arriver. Mais c’est comme ça. Et là, pour la première fois, je sens ce mouvement dans la société, où une majorité de gens a choisi le bon côté(rires)! »

KARL BARTOS JOUERA LE 18/08, AU BRUSSELS SUMMER FESTIVAL, AU MONT DES ARTS. WWW.KARL-BARTOS.DE

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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