Avec The Way I See It, Raphael Saadiq ressuscite avec brio l’âge d’or de la musique soul. Explications avant son concert à l’Ancienne Belgique.

Paris, le printemps dernier. Au lendemain de son concert au Bataclan, Raphael Saadiq enchaîne une nouvelle volée d’interviews. Attablé seul au fond du restaurant, le chanteur né Charlie Ray Wiggins (1966, Oakland) a l’aura tranquille des stars de l’ombre. Il a beau être dans le métier depuis 20 ans, ayant notamment fait ses classes aux côtés de Prince (il a tenu la basse lors de la tournée Parade, milieu des années 80), et avoir écoulé lui-même plusieurs millions de disques, son nom a encore du mal à faire écho au-delà des amateurs de soul/r’n’b. Zappé le succès des années 90 avec Tony! Toni! Toné!, groupe au sein duquel Saadiq croisait demi-fère et cousin. Il y a bien eu le projet Lucy Pearl en 2000 – et son hit Don’t Mess With My Man. Mais il n’a même pas permis aux 2 premiers albums solos du bonhomme ( Instant Vintage en 2002, et Ray Ray en 2004) de transformer l’accueil enthousiaste de la critique en succès populaire. Du coup, c’est encore pour son boulot de producteur – pour D’Angelo, Erykah Badu, Mary J Blige, Joss Stone, John Legend, Q-Tip… – que Raphael Saadiq restait jusqu’ici encore le plus connu.

A vrai dire, lui-même semble à peine s’en soucier. « Hier soir, avant de monter sur scène, je repensais encore au jour où j’ai gagné le concours de fin d’année au collège. J’étais seul sur le podium, avec ma basse, et c’était la folie. J’ai l’impression qu’aujourd’hui encore, c’est cette sensation que j’essaie de retrouver à chaque fois. » Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’en rentrant chez lui, il n’a même pas pu annoncer la nouvelle, sa mère lui ayant interdit de jouer de sa basse en dehors de l’église. « C’est vrai « , rigole-t-il.

âge d’or

Sans doute ne faut-il rien voir d’autre que cet amour de la musique dans The Way I See It, 3e album solo sorti l’an dernier. Un disque qu’on détestera adorer, le genre de plaisir coupable auquel on finira toujours par céder. Saadiq replonge tête baissée dans les années 60, clairement dans le revival, à 2 doigts même du pastiche. C’en serait presque gênant, si ce projet vintage n’était à ce point cohérent, limpide dans les intentions affichées. « Pourquoi était-ce le moment pour moi de me lancer dans un tel album? Je ne sais pas. J’étais en vacances du côté du Costa Rica et des Bahamas. Le soir, tout le monde se retrouvait à écouter ces classiques soul des sixties, seventies. Une musique qui pouvait rassembler et qui avait une âme. » Et de citer également dans la foulée cette scène du film Munich, de Spielberg, où un Arabe et un Israélien ergotent sur la station radio à écouter, avant de se retrouver autour d’un titre d’Al Green!…

Paradoxe: celui qui s’était échiné jusqu’ici à donner une version moderne du r’n’b et de la soul des années 60 a décidé de faire machines arrière. Toutes. The Way I See It creuse l’âge d’or du genre, celui des labels Motown, Stax, le Philly sound des O’Jays, Al Green, les Delfonics… C’est saisissant sur un titre comme Oh Girl, qui aurait pu se retrouver sur le catalogue des Chi-Lites, ou Keep Marchin’ qui se promène du côté des Temptations.

Pendant l’enregistrement, Saadiq s’est ainsi plongé dans des listings d’instruments utilisés par les musiciens de la Motown. Il poussera le jeu jusqu’à débouler en studio habillé à la mode sixties, lunettes aux montures vintage comprises. Il conviera même le percussioniste Jack Ashford et l’arrangeur de cordes Paul Riser, tous 2 musiciens attitrés de la Motown lors de son âge d’or.

Soul brother

Symboliquement, Saadiq a aussi invité Stevie Wonder, Jay Z et Joss Stone. Soit la légende, issue de la Motown; le chef de file du hip hop américain – genre qui est à la jeunesse actuelle ce que devait être la soul de la Motown pour les teenagers des sixties; mais également l’une des représentantes les plus en vue du revival soul – qui ces dernières années a d’abord été le fait de chanteurs blancs, la plupart du temps anglais, d’Amy Winehouse à Jamie Lidell.

C’est bien vu. Indirectement, Saadiq répond ainsi à la question inévitable: est-ce que tout cela a un sens? Pourquoi, en 2009, vouloir à tout prix sortir un disque au son aussi rétro? Peut-être parce que ce groove si particulier n’a tout simplement jamais vraiment disparu, omniprésent dans les samples des rappeurs, au cinéma, dans la pub…

Comment expliquer cet emballement? Peut-être que dans une musique qui se dématérialise de plus en plus, le c£ur et l’âme qui sont glissés dedans sont plus importants que jamais… A cet égard, la soul a toujours cherché à combiner le réconfort du gospel à l’enthousiasme profane du r’n’b. Une sorte de chaleur rassurante et revigorante à la fois. Dans le cas de Saadiq, qui a eu son lot de désillusions (il s’est retrouvé un temps sans maison de disques), voire de drames (une s£ur tuée dans un accident de voiture, un frère abattu, un autre mort d’overdose, un troisième suicidé…), on comprend le baume au c£ur qu’une telle musique peut constituer.

Et puis, il y a des parallèles qui s’imposent. Quelques semaines à peine après la sortie de l’album de Saadiq, Barack Obama devenait le premier président métis des Etats-Unis. Pendant la campagne électorale, le chanteur n’avait pas hésité à afficher son soutien, en enregistrant notamment le titre Young Politics. Cette anecdote aussi: au moment où Saadiq remettait à la mode l’élégance sixties, le sénateur Obama encourageait ses « frères à remonter leurs pantalons », commentaire lié à la mode baggy des rappeurs, que certains voulaient voir interdire.

Dans les années 60, la soul a non seulement accompagné le mouvement des droits civiques. Elle lui a aussi filé quelques sacrés coups de pouce. On peut se poser la question: à quel point le crossover pratiqué par la Motown, plaisant aussi bien au public noir que blanc, a-t-il contribué à sa manière à faire tomber les barrières. Avant la désillusion des seventies, la musique soul saluait ainsi une dignité retrouvée et une confiance dans l’avenir. Le même genre d’optimisme que l’on peut retrouver aujourd’hui dans la communauté afro-américaine, depuis l’élection du sénateur de l’Illinois. Obama, soul brother number one…

Raphael Saadiq, The Way I See It, dist. par Sony.

En concert le 18/10, à l’ AB, à Bruxelles.

Rencontre Laurent Hoebrechts, à Paris.

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