Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Patrick Codenys, de Front 242, propose ses tourbillonnantes sculptures audio dans le décor dépouillé du MAC au Grand-Hornu. Guérillero pas mort…

La vague est énorme. Elle a commencé comme un grondement et déborde maintenant les enceintes pour embrasser toute la salle et s’insinuer dans les autres espaces du MAC. Les grilles vissées au plafond se sont mises à trembler, nerveusement. Nous, aussi. On prend ce tsunami sonore dans les oreilles, mais aussi dans l’estomac, et plus bas-même.  » Un son peut être tellement fort qu’il est capable de te vider les intestins sans que tu puisses contrôler ta réaction physique. » Patrick Codenys, sourit, visiblement épanoui dans cette expo Jeux de massacre qui présente trois de ses monstres sonores.  » Ce qui est important, c’est d’installer un rapport physique au son dans ces palais du visuel que sont généralement les musées. Le son est bien moins codifié que l’image et j’ai eu envie de créer des sensations primitives.  » Il y a donc trois embuscades regroupées sous l’appellation Taken Hostage: la vague, de son petit nom Ambushed, le Grinder et le Sniper. Ce dernier est confiné dans un cube fabriqué pour l’occasion, où deux installations en 4.0 donnent l’impression d’un univers de  » mouches sonores ». Patrick s’en explique:  » On est toujours dans l’idée de la prise d’otages. Les mouches peuvent symboliser la mort mais aussi l’aléatoire, l’arbitraire, c’est l’installation la plus évocatrice d’un univers cinématographique. » Codenys use d’un effet dopler qui détermine la vitesse à laquelle un son passe d’un baffle à l’autre, du coup la mouche devient percussive, on ne sait plus si on est agressé par un nuage d’insectes ou soumis à une rasade de sniper à Sarajevo. Une autre métaphore militaire se concrétise dans le Grinder, broyeur de son en quatre enceintes suspendues au plafond – plus deux au sol – qui jouent au rotor, entourant le spectateur de cliquetis qui s’accélèrent et finissent en décollage d’hélico. Apocalypse now, Patrick?  » Quand on a commencé avec Front, les machines étaient hostiles, carrées, il fallait aller chercher dans leur bide ce qu’on voulait véritablement en tirer. On vit désormais dans une société où tout est friendly, pasteurisé, confortable. Or, on sait qu’en matière d’art, le confort mène au vide. C’est l’une des raisons qui m’ont amené à concevoir des pièces puristes, un son qui veut retrouver son sens originel, c’est-à-dire davantage lié à la nature, aux criquets, à l’orage. » Avec Front 242, qui tourne inlassablement, de préférence en version vintage, Patrick, né en 1958, fait un lien facile:  » La matière sonore a toujours été mon excitation première. Je me demande seulement comment dans cet univers d’Internet où tout est « wikipédié », on peut encore être subversif, underground, comment on peut encore fucker le système? ». L’expo au MAC est un début de réponse possible. l

u Jeux de massacre avec le travail de Patrick Codenys, Pascal Bernier et Harun Farocki du 22 mars au 30 juin au Musée des Arts Contemporains du Grand-Hornu, www.mac-s.beu Lire aussi la critique de l’expo page 41.

Philippe Cornet

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