La veine comique des grands burlesques du cinéma muet est loin d’être tarie. De Tati à Rowan Atkinson en passant par Abel et Gordon, la relève n’a cessé d’être hilarante!
On ne dira jamais assez à quel point Harold Lloyd, Buster Keaton, Charlie Chaplin, Harry Langdon, Stan Laurel et Oliver Hardy furent des bienfaiteurs de l’humanité. Ils sont les génies du slapstick, genre comique reposant sur le physique, la vitesse et le délire anarchique initié dès le début des années 10 par Mack Sennett et ses Keystone Cops lancés à toute allure dans les rues de Los Angeles. Tous firent et font encore rire, génération après génération. Et leurs films parlent avec autant d’éloquence aux adultes et aux enfants d’aujourd’hui qu’ils le firent voici presque un siècle déjà. Peut-être parce qu’au-delà du comique, volontiers brutal et souvent transgressif, c’est à une plongée au plus profond de la condition humaine que nous invitent leurs meilleurs films.
L’humour également ravageur mais bien plus « sonore » (verbal et musical) des frères Marx prit le relais dans les années 30, et le slapstick ne fit bientôt plus recette, associé qu’il était à la période muette et révolue du 7e art. Heureusement, des héritiers apparurent, singulièrement en… France où la mémoire du grand Max Linder, précurseur de Chaplin en personne, n’était plus – et fort injustement – qu’un lointain souvenir. Jacques Tati fut le plus génial, avec son burlesque ralenti, son sens aigu de la forme, ses gags aussi subtils que désopilants et son observation critique des évolutions de la société. Jour de fête (1949), Les Vacances de Monsieur Hulot (1953), Mon oncle (1958), Playtime (1967) et Trafic (1971) sont autant de perles comiques, dont l’influence marque encore aujourd’hui, clairement, le beau travail du tandem Dominique Abel-Fiona Gordon ( L’Iceberg, Rumba). La poésie funambulesque de ces duettistes inspirés les inscrit dans la grande tradition du genre, celle de l’âge d’or des Lloyd et Keaton, mais aussi à l’art si savoureusement décalé de Tati. Lequel marque aussi, par-delà les générations, le travail du Norvégien Bent Hamer ( Egg, Kitchen Stories), un humoriste au trait fin dont les personnages pourraient sortir de cette profondeur de champ que Tati savait si bien utiliser. Sur un mode plus grave et quasi onirique, un autre ci-néaste du nord, le Suédois Roy Ander-sson ( Chansons du deuxième étage, Nous les vivants), pratique lui aussi un burlesque ralenti à l’extrême, avec un résultat fascinant, entre comique et tragique.
Pierre Etaix, qui se bat actuellement pour récupérer les droits de diffusion de ses films ( Le Soupirant, Yoyo, Tant qu’on la santé, entre autres), se posa lui aussi, et avec quel bonheur, en héri-tier inspiré des grands comiques du « muet ». Et aujourd’hui, le cinéma certes très dialogué du jeune Emma-nuel Mouret ( Changement d’adresse, Un baiser s’il vous plaît) rend hommage à Keaton par sa manière de mettre en scène des corps à la limite du déséquilibre. Albert Dupontel montrant lui aussi, encore dans sa plus récente réalisation Enfermés dehors, ce que son cinéma drôlement décapant doit au slapstick chaplinesque le plus férocement social.
Aux Etats-Unis, Jerry Lewis fut, dans les années 60, l’héritier direct et délirant du burlesque, seul ou en duo avec son clown blanc de complice Dean Martin. Steve Martin et plus tard Jim Carrey, dans leurs premiers rôles, poursuivirent cette heureuse tradition. Mais c’est le tandem Blake Edwards-Peter Sellers qui signa le plus bel hommage au genre avec le formidable The Party (1968), chef-d’£uvre de comique où le premier dirige le second dans une suite de séquences inscrites génialement dans la logique hilarante du burlesque le plus inventif.
A l’heure actuelle, Rowan Atkinson est sans doute le plus fidèle des héritiers assumés. Le créateur de Mr. Bean assure, au cinéma comme à la télévision, la popularité contemporaine d’une tradition comique issue du cinéma « muet ». Une tradition dont, sur d’autres terrains, l’entarteur Georges Le Gloupier (alias Noël Godin) se réclame lui aussi de pâtissière façon… A presque 100 ans, le burlesque a encore de l’avenir!
Louis Danvers
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