LE VIVRE ENSEMBLE EST AU COUR D’UN CHAT DU RABBIN CAUSTIQUE ET VOLTAIRIEN, MAIS AUSSI SENSUEL ET DRÔLE.

Star de la bande dessinée, prisé tout à la fois par la critique et un vaste public, l’ami Sfar n’a jamais caché son amour du cinéma. Gainsbourg (vie héroïque) a démontré qu’il pouvait faire de la caméra un usage digne de l’art qui est le sien avec une plume et un crayon. Son adaptation de sa propre bande dessinée Le Chat du rabbin vient confirmer la place que l’image animée peut prendre dans sa trajectoire.

En voyant votre film, on pense un peu à Férid Boughedir qui montrait aussi, dans Un été à la Goulette, comment des voisins juifs et musulmans pouvaient bien vivre ensemble…

Je me souviens de ce film, et surtout de son premier film, Halfaouine, l’enfant des terrasses, une merveille et une influence totalement revendiquée de ma part. Lui, il avait mis un regard d’enfant, moi j’ai mis celui d’un chat, mais avec le même but de porter un regard critique sur la société, et l’adoucir parce que cette critique vient de la famille, pas du législateur, de l’étranger ou du colon…

Vous prônez la tolérance, mais pas la tolérance à tout!

Je suis au départ l’individu le moins tolérant de la planète. J’ai la colère extrêmement facile… J’ai eu la chance d’être le compagnon de route de Charlie Hebdo pendant un moment, et j’ai le sentiment que les armes de la provocation et de l’insulte ne sont plus tellement opérantes. Je ne dis pas qu’il faut les criminaliser ou les poursuivre, mais je pense qu’il y a tout intérêt à créer une critique religieuse qui puisse être entendue par les religieux, les faire rire, et qui puisse instiller dans l’idée du public ce qui pour moi est une évidence: les juifs et les musulmans sont beaucoup moins susceptibles qu’on se l’imagine. Malheureusement ils se choisissent de bien mauvais représentants. Malheureusement, pour ne pas faire de peine à leur famille, ils choisissent le plus souvent de ne pas rendre publique une critique qu’ils émettent dans ces cercles intimes… S’il devait y avoir une leçon du « printemps arabe » qui fait bouger les choses depuis quelques mois, c’est que les particularismes culturels n’existent pas, et qu’au même niveau d’alphabétisme, les gens aspirent tous au même mode de vie!

Votre film ne souscrit pas à la croyance selon laquelle la religion est fondatrice de l’individu et de son identité…

Absolument. Voltaire m’importe bien plus que tous les prophètes réunis, le film n’en fait pas mystère. Mais si je suis caustique, je ne suis pas insultant. Et je suis heureux de constater que les religieux rient aussi devant mon film. Ils voient bien que si je m’en prends, avec une certaine violence, à l’Islam politique, c’est pour mieux dédouaner l’Islam dans son ensemble de cet activisme qui est une invention récente, datant des années 30 et des Frères Musulmans. Savez-vous que la phrase que je fais dire à un des personnages du film,  » Le seul dialogue avec les juifs passe par le fil de mon sabre« , a été prononcée il y a moins de 10 ans sur Al Jazeera par le cheikh Qardaoui, l’inspirateur actuel des Frères Musulmans? Il ajoutait que la Shoah était une punition de Dieu infligée aux juifs, et qu’il appartenait au musulmans de les massacrer jusqu’au dernier…

Pour autant, Le Chat du rabbin n’est pas un film à message?

Non, il ne l’est pas. J’espère juste qu’il fera réfléchir certains gamins, et leur fera comprendre que ne pas être d’accord sur quelque chose n’est pas grave. Et qu’il n’y a pas forcément toujours l’un qui a raison et l’autre qui a tort. J’ai eu la chance de nouer des dialogues dans les écoles et dans les lycées. Et si mon film, qui n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, peut contribuer à ce que le dialogue continue, il aura eu sa justification.

Vous mettez l’accent sur un certain art de vivre, où le boire et le manger comptent énormément.

Dans Le Banquet de Platon, avant de discuter, on se met d’accord sur le vin qu’on va boire et sur ce qu’on va manger. Le plaisir partagé du repas crée un espace accueillant, dans lequel on peut ensuite échanger et même confronter durement nos points de vue, sans perdre pour autant le goût de vivre ensemble. Ce vivre ensemble qui est la clé de tout avenir en France comme au Maghreb.

Revisitant la période coloniale, vous faites un usage aussi pertinent des clichés retournés, de la caricature, que vous ne le faisiez en faisant sortir de son affiche la caricature antisémite de Gainsbourg

Vous êtes belge, vous appréciez sans doute Ensor et Henri Xhonneux, la noirceur et l’autodérision. C’est si différent en France, où la production artistique meurt de la peur de la noirceur et du ridicule. Je pense qu’on me comprend mieux chez vous. Ce que j’aime chez vous, c’est à la fois la noirceur (Jean Ray, Félicien Rops) et la candeur (Jacobs, Hergé). Je revendique les 2. Je suis dessinateur, je suis conscient que ma corporation a véhiculé, souvent avec les meilleures intentions du monde, des stéréotypes qui ont fait du mal à bon nombre de populations. Mais je me mets en colère quand des imbéciles pathétiques veulent faire interdire Tintin au Congo. On peut paradoxalement être reconnaissant à Hergé d’avoir été un révélateur de son temps. D’avoir, même involontairement, montré à quel point les gens étaient cons à l’époque… Ma réponse est de m’autoriser à rire sur Tintin, pas à vouloir le censurer. Dans ma propre représentation des groupes humains, je prends soin de ne pas invoquer de stéréotypes, mais de montrer plutôt à quel point les choses peuvent être complexes. Même si j’aime parfois les symboles lourds (rires)… J’aime les mélanges, le métissage. Et ne veux à aucun prix culpabiliser le spectateur, comme le font tant de films. Une des choses que dit Le Chat du rabbin, c’est que la connerie est le bien le mieux partagé au monde!

Pourquoi, au départ, avoir choisi pour héros un chat? Un animal qui apporte un important élément de sensualité…

Pour la simple raison que j’en avais acheté un. Il s’appelle Imhotep et va avoir 10 ans. Je le dessinais, tantôt de nature et tantôt d’imagination, et c’est vrai que la sensualité du trait me plaisait. Le chat du film a un rapport sensuel aux êtres qui l’entourent. Quand il parle de sa « maîtresse », c’est nécessairement ambigu, même s’il n’y a rien de graveleux. C’est un amour impossible (rires)

Vous l’avez emmené sur le plateau?

Oui, pour le filmer pendant des heures et des heures, pour aussi que les animateurs comprennent comment bouge (et souvent ne bouge pas) un chat. Je ne voulais pas du tout l’humaniser, pour que le contraste de ce qu’il est et de ce qu’il dit (et qui est très humain) puisse pleinement opérer.

Vous avez aussi filmé les comédiens avant de dessiner les personnages?

C’était l’option, oui, pour obtenir la fluidité d’un film « live ». Un de ces films de Julien Duvivier, comme Pépé le Moko, dont je me suis délecté autrefois. Nous les avons filmés pendant plus d’un mois, en costumes orientaux. Cela m’a aussi permis d’oublier ma BD, comme Marjane Satrapi me l’avait conseillé… l

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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