NOUVEAU FILM DU RÉALISATEUR VIRTUOSE DE ZODIAC, GONE GIRL PERMET DE VÉRIFIER L’AXIOME HOLLYWOODIEN VOULANT QUE THRILLER RIME DÉFINITIVEMENT AVEC DAVID FINCHER

Certes, il y a là un thriller à la mise en scène virtuose, comme à l’efficacité éprouvée, cap maintenu sans sourciller 2 h 29 durant au fil des détours d’une intrigue tortueuse. On ne peut pour autant réprimer, à la découverte de Gone Girl, le nouveau film de David Fincher (lire la critique page 36), un léger désappointement, lié à une impression tenace de déjà-vu. Avec ce film, c’est un peu comme si le réalisateur originaire de Denver se bornait à faire ses gammes, en effet, revisitant un genre qu’il a largement contribué à reformuler. C’était en 1995, et avec Se7en, Fincher (dont le fait d’armes majeur résidait jusqu’alors dans Alien³, sequel au demeurant réussi du film de Ridley Scott) redessinait, tout en noirceur, les contours du thriller, et plus précisément ceux du film de serial killer.

S’inspirant des sept péchés capitaux, John Doe (l’équivalent anglo-saxon de Monsieur X), le tueur en question, devait marquer les esprits. Quant au style, millimétré et saturé de tension, du réalisateur, il allait faire date, engendrant une descendance nombreuse, inégalement inspirée cependant. Ce que l’on pourrait résumer en une formule: souvent imité, rarement égalé, ni même approché, n’était-ce par Fincher lui-même, qui imposait là la grammaire de son cinéma, tout en oppressante opacité. Deux ans plus tard, le réalisateur en proposait, du reste, une première variante, The Game, baladant son protagoniste principal, un homme d’affaires doublé d’un control freak, au gré des méandres d’un jeu de rôle aussi barré que flippant. Une manipulation débouchant sur une plongée aux confins de la paranoïa, figure centrale de l’oeuvre. Et incarnée, pour le coup, par un Michael Douglas fort à son affaire, l’acteur faisant merveille dans un film qui adoptait une ligne aussi perturbée que perturbante -du grand art, sublimé par la photographie, couleur ténèbres, du brillant Harris Savides.

Un nerf sensible

Brûlot virevoltant, Fight Club voit ensuite Fincher élargir son champ d’opération, se posant en visionnaire, lui qui cerne le désarroi existentiel d’une génération comme peu d’autres, tout en entraînant le spectateur au coeur du chaos, en un tourbillon proprement ahurissant. Soit un film dopé à la testostérone, mécanique implacable et non dénuée d’ambiguïté dotée de la puissance dévastatrice d’un uppercut, fût-ce, parfois, au détriment de la nuance. Quinze ans plus tard, le goût de sang et de cendres demeure, le réalisateur ayant assurément touché là à un nerf sensible, tout en s’appuyant sur une caméra virtuose -on ne se refait pas, c’est bien connu, l’esthétique d’un film appelé à devenir culte faisant office de piqûre de rappel.

Difficile, après cette magistrale adaptation de Chuck Palahniuk, de ne pas considérer Panic Room, où Fincher renoue avec la forme la plus classique du thriller, comme un pas en arrière, en dépit de ses indéniables qualités. Le réalisateur y signe un huis clos étouffant, à l’ombre d’une mère et sa fille (Jodie Foster et Kristen Stewart, dans l’un de ses tout premiers rôles) que l’irruption de cambrioleurs dans leur maison a forcées à se réfugier dans la « panic room ». La suite est question de savoir-faire, en quoi le cinéaste n’a guère de leçons à recevoir, lui qui s’acquitte de cet exercice de style avec une incontestable maestria, pour signer un film sous haute tension, mais guère consistant pour autant -soit, peu ou prou, des remarques que l’on pourrait formuler aujourd’hui à l’endroit de Gone Girl.

Monsieur serial killer

Circonstance « aggravante », le réalisateur a entre-temps donné au thriller son chef-d’oeuvre contemporain, à savoir Zodiac, chronique d’une affaire criminelle ayant secoué les Etats-Unis au tournant des années 70 (et qui offrait déjà sa toile de fond au Dirty Harry de Don Siegel en 1971), lorsque le tueur du Zodiaque semait la terreur dans la baie de San Francisco tout en narguant les forces de l’ordre. Avec le concours inspiré d’Harris Savides, encore lui, Fincher porte son style à sa quintessence, adoptant une mise en scène tout à la fois sombre, élégante, rigoureuse et acérée, non sans réinventer le film de serial killer sous l’angle d’une quête obsessionnelle, en un tour de force évoquant le cinéma américain des années 70. L’affaire n’ira pas sans dommage collatéral cependant, qui fera de lui aux yeux de Hollywood (et au-delà) « Monsieur serial killer ». Aussi, à la perspective d’un remake américain de Millenium, d’après la saga à succès de Stieg Larsson, se tourne-t-on naturellement vers un auteur qui refuse pour autant de se conformer à ce « typecasting ». « Je sais évidemment pourquoi on me propose ce type de matériel, nous confiait David Fincher en marge de la sortie de The Girl with the Dragon Tattoo. Mais s’il y a bien un serial killer dans le film, ce n’est jamais qu’une branche d’un récit dont il ne constitue pas le pôle central, postulat qui valait déjà pour Zodiac. » Voire: si Fincher réussira à en donner une lecture toute personnelle, le film aura, à l’image de Gone Girl ces jours-ci, un parfum de redite.

Pas de quoi, sans doute, instruire un procès en auto-citation au réalisateur: il ne viendrait à l’idée de personne, après tout, de reprocher à Hitchcock d’avoir épuisé les possibilités du film à suspense, ou à Sirk d’avoir décliné toutes les teintes du mélodrame. Mais assez pour susciter une légitime frustration, entretenue à l’aune des Fight Club, The Curious Case of Benjamin Button et The Social Network, autant de films venus démontrer que Fincher pouvait s’écarter, magistralement encore bien, d’un genre dont il maîtrise parfaitement les codes et les figures au risque, parfois, de céder à la facilité d’un serial thriller maker…

TEXTE Jean-François Pluijgers

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