Sempé, pour toujours

Jean-Jacques Sempé © GETTY IMAGES

Jean-Jacques Sempé s’est éteint à l’âge de 89 ans. L’émotion est à la hauteur de son immense talent et de sa popularité acquise avec Le Petit Nicolas.

La dernière illustration de Jean-Jacques Sempé, dit Sempé, est parue dans l’édition de la semaine dernière de Paris Match (un magazine avec lequel il collaborait depuis des lustres) et sonne désormais comme une bouleversante épitaphe, totalement à l’image de son géniteur et des milliers de dessins qu’il aura produit en plus de soixante ans de carrière. On y voit, dans une pleine page luxuriante de végétation et saturée par la beauté, un petit monsieur s’essayant à immortaliser l’instant. Sa femme, pas plus grande que lui, à peine visible dans cette nature débordante, s’adresse à son peintre du dimanche de mari: «Pense à ne pas m’oublier…» Beau, tendre, simple, délicat et trop humble. Tout Sempé.

C’est en 1951 qu’il signe de son nom ses premiers dessins dans le journal Sud Ouest, avant de rencontrer Goscinny dans les bureaux parisiens de l’agence belge World Press. Pour Le Moustique, ils entament une bande dessinée baptisée Le Petit Nicolas qui ne connaîtra que quelques planches – Sempé n’aimera jamais l’aspect narratif et répétitif de la BD. Ils réinventent le personnage et son format pour le magazine Pilote en 1958, donnant naissance aux récits illustrés parmi les plus populaires du XXe siècle. Vingt ans plus tard, en 1978, il rejoint l’équipe du New Yorker, célèbre pour ses couvertures illustrées, dont une centaine seront assurées par Sempé, devenu alors la coqueluche du tout-Paris. Une notoriété et un succès qui ne monteront jamais à la tête de ce travailleur acharné à la discrétion rare.

Sempé laisse désormais derrière lui une œuvre d’une abondance phénoménale qui nourrissait près d’un recueil par an, de Rien n’est simple, en 1962, à Garder le cap, en 2020. En 2007, un AVC l’avait pourtant laissé quasiment paralysé, à l’exception de la main droite. Mais Sempé avait le chic et la grande classe de transformer le malheur en fantaisie et en infinie tendresse, lui qui s’est inventé, avec Le Petit Nicolas ou Raoul Taburin, une enfance à l’opposé de la sienne, très douloureuse, et qui s’était choisi le métier d’humoriste «pour ne pas m’exclure de l’humanité que je dessine». Il aimait croquer et moquer la mythomanie et la petitesse de nos esprits face à la grandeur de l’art ou de la nature.

Tous ses livres sont évidemment hautement recommandables, on ne citera donc que le récent et superbe Carnets de bord paru l’année dernière aux Cahiers Dessinés. Souvent imité, jamais égalé, Sempé a provoqué au moment de sa disparition une rare vague d’émotion et de publication de ses dessins sur les réseaux sociaux – la seule bonne nouvelle de ce bien triste 11 août.

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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