Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

LOST IN TRANSLATION – L’actrice la plus hot de sa génération qui sort un album de reprises du plus culte des chanteurs américains: trop beau(beau) pour être vrai?

« Anywhere I Lay My Head »

Distribué par Rhino/Warner.

On n’est jamais content. Imaginez: voilà qu’on annonce un disque de l’actrice Scarlett Johansson ( grrrr), reprenant des chansons de Tom Waits (énorme!). Soit la Belle et la Bête, réunies qui plus est sous la houlette de Dave Sitek, musicien/producteur parmi les plus cotés de la Grosse Pomme (cf son groupe TV On The Radio). Le casting idéal? Evidemment, cela peut commencer à faire beaucoup. Manque plus que David Bowie pour compléter le tableau. Cela tombe bien, il apparaît sur deux titres de l’album… N’en jetez plus: le package tendance-branché est complet. Un peu comme si Charlotte Gainsbourg avait enregistré un disque avec Air et Jarvis Cocker… Trop beau(beau) pour être vrai? Trop « marketé » pour être tout à fait honnête?

Allez écouter sereinement Anywhere I Lay My Head après ça. Et ne pas avoir envie, fissa, de le renvoyer en bas de la pile pour avoir ne serait-ce qu’essayé de vous prendre pour un gogo. D’ailleurs, le début du disque n’est pas rassurant. Comme si Scarlett Johansson (New York, 1984) tendait le bâton pour se faire battre. L’album s’ouvre avec Fawn, un instrumental, suivi de Town With No Cheer. Dans le premier, la voix est forcément absente (un aveu de faiblesse?); dans le deuxième, elle est tout sauf agréable, contralto creux et voilé. Et pourtant, c’est précisément tout le charme du titre: ce ton profond et monocorde, que vient sublimer une montée d’orgues et de saxophone. Falling Down confirme l’option prise pendant les cinq semaines d’enregistrement passées à Maurice, bled paumé de Louisiane (moins de 1 000 habitants, renseigne le livret du CD, et quelques centaines de milliers de grillons, dont on entend régulièrement les déchaînements nocturnes, à la porte du studio): celle d’envelopper les blues frelatés de Waits dans le fog anglais des productions 4AD des années 80. De la torpeur louisianaise au spleen britannique des Cocteau Twins (ou New Order, dans le cas, incongru, du titre I Don’t Wanna Grow Up), le pas n’est finalement pas si grand à franchir.

DéMARCHE SINGULIèRE

La voix de Johansson est limitée? Peut-être, mais elle ne manque pas de culot, ne serait-ce qu’en reprenant des chansons d’un non-chanteur, au timbre « cailloutteux » et cabossé. Surtout, la demoiselle a su rester humble. Placée au milieu des autres instruments, elle cadre parfaitement avec l’ambiance éthérée (mais pas vaporeuse) du disque, comme une sorte de Nico qui aurait zappé les drames. C’est d’ailleurs quand la demoiselle chante « le plus », comme sur Fannin’ Street, qu’elle est peut-être la moins convaincante. Pas parce qu’elle se noie, mais parce que Dave Sitek perd un peu le fil de l’univers tissé jusque-là. A l’inverse, No One Knows I’m Gone ou Green Grass alimentent à merveille la langueur ambiante.

Au bout d’un moment, on en arrive ainsi à oublier l’actrice Johansson, le géant Tom Waits, tous les préjugés, le costard que l’on était prêt à tailler. La musique a pris définitivement le dessus. Que ce disque ait ainsi survécu au buzz, backlash et contre-backlash est un petit miracle. Cela n’en fait certes pas l’album de l’année. Mais cela en dit long sur son moteur intérieur et la singularité (et sincérité) de la démarche.

LAURENT HOEBRECHTS

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