Sauvageons!

© EDURADO CABRERA

Dans Une république lumineuse, Andrés Barba pose avec virtuosité sa loupe sur une ville tropicale en proie à la tapageuse liberté d’enfants décivilisés.

Du terrible Sa Majesté des mouches de William Golding à l’épique et plus contemporain Forêt-Furieuse de Sylvain Pattieu, notre imaginaire est coloré par les peintures tribales des enfants sauvages. Par leurs surnoms, leurs faits de guerre. Mais ce n’est pas le cas de celui qui prend la parole pour nous relater la tourmente qui secoua San Cristóbal -ville provinciale et tropicale, embourgeoisée avec le temps- au mitan des années 90. C’est à peine si celui qui débarque là pour devenir directeur des services sociaux locaux et vivre en couple avec une femme et sa fille a idée de ce qui l’attend:  » Avant ma rencontre avec Maia, les enfants étaient pour moi des créatures avec lesquelles je devais inventer une relation. »

Sauvageons!

Il lui faudra pourtant rapidement confronter la fiction avec les faits. La cité -qu’il observe jusque-là avec l’oeil aiguisé de l’entomologiste- connaît bientôt une vague inquiétante de larcins et de violence de la part de plusieurs groupes de jeunes individus en marge, dont l’âge oscille entre neuf et douze ans. De nombreuses rumeurs et superstitions courent bientôt à leur sujet, et personne ne parvient à détecter leur langue. Si sa position d’adulte responsable l’oblige à endiguer le phénomène avant qu’il n’explose, ce que ce témoin privilégié des faits entraperçoit chez cette communauté aux chorégraphies sociales étonnantes, sans chef avéré, le rend pourtant curieusement admiratif:  » Et plus encore, j’avais l’impression que ces enfants étaient animés d’une joie et d’une liberté à laquelle n’auraient jamais pu accéder les enfants « normaux ». »

Comme dans Virgin Suicides, Barba laisse délibérément son héros englué dans sa toile de plus en plus obsessionnelle, attiré et brûlé comme un moucheron par la lueur inquiète de ses sujets d’observation, violemment tiraillé d’être à la fois témoin et partie de ce qui s’avèrera une tragédie, intrinsèque et inéluctable.

Ce qui exsude du constat d’échec du narrateur quant aux solutions à apporter au phénomène, c’est l’incapacité des adultes à accueillir pleinement -sans chercher à la dompter- l’altérité de l’enfance. Celle qui n’est régie par aucune loi, laisse une possibilité à la violence de s’infiltrer par certains pores, à l’amour précoce de trouver son propre langage, à la joie de déborder.

Dans un puissant renversement des rôles, l’auteur nous suggère que c’est l’autorité qui voit son esprit colonisé par la marginalité, sans pour autant que le mystère ne désépaississe tout à fait. Comme les enfants civilisés, poserez-vous à votre tour l’oreille à même le livre pour entendre le pas de ces sauvageons hypnotiques,  » héritiers légitimes de rien » si ce n’est, peut-être, de l’absence de chaînes?

Une république lumineuse

D’Andrés Barba, éditions Christian Bourgois, traduit de l’espagnol par François Gaudry, 192 pages.

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