Myriam Leroy
Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

Ancienne strip-teaseuse reconvertie dans le documentaire, elle livre un film émouvant sur son fils épileptique, En cas de dépressurisation.

Sacré personnage que cette Sarah Moon Howe. Mi-ange cabossé, mi-démon sexy. Le genre de fille qui peut vous parler des joies et des peines du travail en institution pour handicapés (elle y fut éducatrice) et vous lâcher qu’elle cherche de la lingerie coquine en vue d’un strip-tease amoureux programmé l’après-midi même. Elle est tout ça à la fois: mère courage de 36 ans, effeuilleuse, cinéaste, les pieds sur terre et les yeux (bleus délavés) loin dans les étoiles. Fille d’un père canadien et d’une mère belge qui se sont rencontrés en Afghanistan (« Il était trafiquant de drogue, elle est cinéaste, elle l’a fait changer de métier et il est désormais chef électro pour le cinéma! »), Sarah Moon était forcément programmée pour être artiste. Rien que son prénom est lourd d’influence. Pourtant, malgré cet héritage, après ses secondaires, elle se lance dans la psycho: « Le cinéma, pour moi, ce n’était pas un vrai métier. » C’est pendant ses études qu’elle découvre le strip-tease. « A l’époque, j’étais mal dans ma peau, je ne me sentais pas femme, je me croyais transparente… Un jour je suis passée devant un cabaret qui cherchait des danseuses, je suis rentrée, et j’ai découvert un monde inattendu. » Un univers de freaks qui l’a immédiatement happée – elle y est restée 12 ans. « J’ai vu ça avec un £il poétique, comme un rite d’initiation à la féminité qui m’a plongée dans un microcosme sombre où les gens sont passés de l’autre côté de quelque chose, de l’autre côté de la honte. » Un monde qui l’inspire tellement qu’elle en fait un 26 minutes bardé de prix et présenté à la Mostra de Venise en 2003, Ne dites pas à ma mère. Après ce film, Sarah Moon arrête le strip, presse le bouton off, rencontre un homme et fait un enfant, Jack. Qui, à trois semaines, montre une gestuelle inquiétante. L’intuition, terrible, est la bonne: Jack souffre d’une épilepsie réfractaire. Il accusera un lourd retard de développement. Sarah Moon sombre.

Beau bizarre

Et un jour, un coup de fil. Une main. Une éclaircie. Le chorégraphe Wim Vandekeybus a besoin d’elle pour un spectacle au confluent de la danse contemporaine, du théâtre et du strip-tease. « Ça m’a obligée à me lever, à m’habiller, à aller travailler. Ça m’a sauvée. «  Et c’est reparti pour le show, malgré les réticences de l’entourage. La caméra au poing, encore une fois. « J’ai eu envie de filmer dès qu’on est partis en tournée. J’étais fascinée par le contraste entre un quotidien difficile, les médicaments et les crises de Jack, et les avions, les grands hôtels, les beaux théâtres. Le décalage entre mon petit garçon malade – il m’accompagnait parfois – et ces filles pomponnées. Il fallait faire un film sur ce va-et-vient. Et en même temps sur cette correspondance entre des personnes considérées comme différentes. » En résultent 46 minutes intitulées En cas de dépressurisation. Un film d’une fascinante étrangeté, beau bizarre, sincère et sensible. Aujourd’hui Jack va à l’école, rigole et évolue «  »Au jour le jour, madame », comme disent les médecins!« . Sarah Moon Howe prépare une création radio, voudrait poursuivre dans la veine documentaire, et tourne avec un spectacle du chorégraphe français Michel Schweizer. Encore dans le rôle de la strip-teaseuse, « Ça ne me lâchera pas! » l

En cas de dépressurisation (Sélectionné dans le cadre du festival Vision du réel à Nyons) sera proposé à Flagey les 9, 11, 12 et 17/12. Infos: www.cinematek.be.

Diffusion sur Be Ciné le 16/12 à 20: 45, et ultérieurement à la RTBF.

Myriam Leroy

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