Bruno Podalydès nous réjouit avec un Bancs publics aussi touchant qu’hilarant. Un film choral écrit et réalisé sous le signe du plaisir partagé. Explications.
Comment est né ce troisième volet de la « suite versaillaise »?
J’avais eu connaissance, voici une quinzaine d’années, d’un fait divers où quelqu’un avait accroché sous sa fenêtre une banderole avec écrit dessus « homme seul ». Je l’avais noté dans un des carnets où je consigne les idées qui me passent par la tête, et qui peuvent resurgir plus tard dans un film. Un jour, le souvenir de ce fait divers s’est amalgamé avec l’envie de situer l’action principale d’un film dans et autour d’un square. Les deux se sont cristallisés en une molécule unique, en s’imposant à moi comme le matériau premier du film. Avec aussi l’idée de ces bancs publics, qui nous sont si familiers qu’on ne les voit plus. J’aime ces objets de notre quotidien auxquels on ne prête plus attention, comme aussi par exemple les petites boîtes bleues de crème Nivea. Que serait le monde sans elles (rire)?
Vous parlez de chimie. En voyant votre film, on a le sentiment d’assister au développement de quelque chose d’organique, de vivant…
Je me reconnais dans cette métaphore d’un cinéma vivant, composé comme tout corps de cellules, en l’occurrence les scènes du film. Un corps qui ne serait pas tenu par un squelette mais qui serait tout entier de l’ordre de la chair, de la respiration, avec des rythmes propres à la vie, des battements de c£ur. Un mélange de programmé et d’aléatoire, comme le jeu de backgammon. Il y a la stratégie mais aussi le hasard des dés… Plus ça va, plus j’aime cette anarchie apparente, ces suites de coq-à-l’âne qui remplacent avantageusement le cheminement de A à B puis de B à C, etc. Avec, au bout du compte et du désordre, le sens qui naît, et qui fédère. Il y a dans Bancs publics comme un effet d’unisson, à la fin.
Ce sens dont vous parlez surgit au montage, ou est-il déjà donné par l’écriture, le scénario?
Par l’écriture, qui est dans l’élan, d’abord. Le montage, pour moi, c’est plutôt sauver les meubles (rire)! Certes, le montage est une deuxième écriture, mais je le ressens hélas surtout comme un risque de perdre des choses précieuses. C’est que je suis extrêmement attaché à toutes les scènes que j’ai tournées. Je suis très engagé en filmant, je ne me dis jamais en entamant une scène qu’après je couperai peut-être… Pour Bancs publics, j’ai dû couper 25 minutes. Quelle douleur! C’est pour cela que mes montages durent généralement plus d’un an…
Grand nombre de personnages, importance de la géographie des lieux: avez-vous recouru comme certains à des fiches et à des plans?
Je n’emploie d’ordinaire ni l’un ni l’autre. Pour les lieux, et pour la première fois, je souhaitais même que le spectateur puisse se perdre dans 3 labyrinthes: celui des bureaux d’où l’on aperçoit en premier la banderole, celui du square (façon Marie-Antoinette) et celui du magasin de bricolage dont toutes les gondoles étaient montées sur roulettes et dont je voulais qu’il puisse paraître sans fin. Paradoxalement, c’est la topologie des lieux qui donne sa structure au film. Surtout celle du square, pour laquelle j’avais… un plan, car avec tous les acteurs différents qui débarquaient chaque jour ou presque faire leurs scènes, il fallait être d’une précision absolue dans le cadrage pour donner l’impression fluide d’un tout alors que les interprètes n’étaient pas simultanément présents sur les lieux…
Aviez-vous ces comédiens en tête en écrivant le film?
Aucun, non, pas même mon frère ni moi-même (un autre acteur devait d’ailleurs initialement jouer le rôle que je tiens finalement(1)). J’ai cherché une fois le script achevé. Quelle ivresse que ce mois de préparation où je téléphonais sans cesse, sans rien m’interdire. Le fait que dans les tout premiers Catherine Deneuve dise oui, et pour un cachet très sobre pour elle, a donné le ton, et tout devenait possible!
Si la filiation avec Tati s’affirme dans certains gags visuels, n’est-elle pas également présente dans la texture sonore – très travaillée – de Bancs publics?
Oui, assurément, même si Tati était parfois plus « didactique », en filmant des plans larges mais en faisant des gros plans sonores qui dirigeaient le regard du spectateur vers un détail de l’image. Je voulais un aspect bazar, quincaillerie, avec plein de bruits jusque dans le square (cris d’enfants, jets d’eau, etc.). Au cinéma, la vie arrive beaucoup par le son. Tati l’avait compris avant tout le monde.
Son film Mon oncle peut être vu aujourd’hui comme un témoignage de la réalité changeante de son temps. Aimeriez-vous que Bancs publics prenne un jour cette valeur quasi documentaire?
Je vois de plus en plus fiction et documentaire s’infiltrer l’un l’autre. On ne voit plus un reportage à la télé sans effet de caméra recherché, et inversement plein de films de fiction adoptent des manières de filmage propres au reportage. Mon point de vue est que la fiction doit rester la fiction, raconter notre époque malgré soi, sans intention préalable. Quelque chose du monde d’aujourd’hui est sans doute dans mon film, mais je n’ai rien fait pour ça.
(1) Celui du gérant d’un magasin de bricolage.
Rencontre Louis Danvers
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