JAMES ELLROY REVIENT AUX AFFAIRES ET À LOS ANGELES AVEC PERFIDIA, DÉBUT D’UN NOUVEAU ET MONUMENTAL QUATUOR. RÉAC, MAIS MAGISTRAL.

Le Dog est de retour, et sans surprise, il mord. Un an après un dispensable et très court Extorsion qui n’avait pour but que de faire patienter les fans, Rivages publie enfin le nouveau roman de sa star et plus gros vendeur. Et quel roman! Le début d’un nouveau quatuor, qui prend place avant les autres (lire ci-contre) et qui remet tout le monde d’accord: Ellroy, qu’on aime ses romans ou qu’on déteste le personnage, s’impose à nouveau comme le romancier le plus doué de sa génération et de son pays. Avec Perfidia, l’auteur torturé mais brillant renoue en effet avec ce qui a fait son succès et sa réputation: un pavé d’une rare densité mêlant la grande et les petites histoires, les figures réelles et les personnages de fiction, dans un mille-feuilles de crimes et de corruption aux conséquences dévastatrices magistralement écrit. Ellroy s’était fait connaître par sa description hallucinante du Los Angeles des années 50; le L.A. des années 40 n’a rien à lui envier.

Perfidia couvre, sur plus de 800 pages, une période d’à peine trois semaines: il démarre le 6 décembre 1941, la veille de l’attaque de Pearl Harbor, avec la mort d’une famille de quatre Japonais résidant à L.A. Un apparent seppuku accompagné d’une lettre d’adieu: « L’Apocalypse qui s’annonce n’est pas de notre fait. » Mais de quelle apocalypse s’agit-il? De l’attaque de la base de Hawaï par l’armée nippone, ou des incroyables exactions qui vont suivre, commises contre la communauté japonaise de la Cité des Anges? Des centaines de milliers de Japonais furent en effet arrêtés et emprisonnés au lendemain de Pearl Harbor dans de véritables camps de concentration. Une dramatique et historique toile de fond qu’Ellroy revisite à sa manière: documentée, cauchemardesque et réac -il n’y a que lui pour découper son roman en deux parties baptisées « Les Japs » et « Les Chinetoques »…

« Tu n’as pas encore compris que le monde dans lequel on vit est un endroit étrange et qui ne tourne pas rond« , estime ainsi un de ses personnages; on en est convaincu au sortir de cet étouffant et impitoyable Perfidia: « Il n’y a plus de proportions, plus de mesure. Pearl Harbor a aboli tout ça. »

Surfant sur l’ambiance effectivement apocalyptique de décembre 1941 à L.A. -l’Amérique, frappée à Hawaï, est désormais persuadée que les sous-marins japonais longent les côtes californiennes et qu’une « cinquième colonne » de Japonais infiltrés la mine de l’intérieur-, Ellroy use de cet arrière-fond survolté pour bâtir une nouvelle démonstration de l’état de corruption de sa ville et de son pays: flics pourris, alcooliques, violents ou drogués, collusion avec les mafias chinoises et mexicaines, meurtres, trahisons, chantages, collusion, xénophobie, haine des autres et surtout de soi-même… Ellroy n’épargne aucun péché à ses personnages. S’ils sont à nouveau des dizaines à s’y croiser, le récit est essentiellement porté par quatre voix qui feront saliver les fans hardcore du romancier: l’abominable Dudley Smith, l’alcoolique et christique William H. Parker, l’arriviste Kay Lake et un jeune chimiste du LAPD d’origine nippone. Soit quatre personnages déjà croisés dans la fresque d’Ellroy, du Dahlia Noir à Underworld USA. Car c’est là l’autre sensationnelle réussite de ce nouveau roman typiquement ellroyien: si Perfidia se suffit à lui-même, il prend une toute autre dimension pour les aficionados de l’auteur, qui y croiseront aussi Buzz Meeks, Ward Littel, Scotty Bennett, Lee Blanchard, Mike Breuning, Pierce Patchett, Elizabeth Short et des dizaines d’autres, tous présents dans les autres romans du maître, sans oublier une flopée de personnages bien réels et évidemment malmenés, de Bette Davis au clan Kennedy. Le tout servi par une écriture plus phénoménale que jamais (et qui doit beaucoup à son traducteur Jean-Paul Gratias): aucune phrase de ce pavé ne dépasse une ligne et ne sort du principe « sujet-verbe-complément », magnifié par un usage unique de la typographie; chez Ellroy, les majuscules, les italiques ou les passages à la ligne font partie intégrante de la dramaturgie. Une dramaturgie qui demandera du temps et de la concentration, mais qui ne vous lâchera pas.

PERFIDIA DE JAMES ELLROY, ÉDITIONS RIVAGES/THRILLER, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR JEAN-PAUL GRATIAS, 835 PAGES.

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TEXTE Olivier Van Vaerenbergh

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