Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Le fugitif – Roots Manuva continue de creuser son tunnel. Entre Londres et Kingston, rap et dancehall, basses et blips électro, Slime & Reason. épatant.

« Slime & Reason »

Distribué par Big Dada.

Dans le monde du rap, l’Angleterre pourra toujours se brosser. Elle aura beau proposer, pousser des portes, faire le forcing: jamais elle ne prendra la tête de la course. Après tout, c’est logique: on n’imagine pas non plus une équipe venue d’Albion battre un jour les Yankees au base-ball. Il ne faudrait pas pour autant négliger l’apport de la scène hip-hop locale. On se demande même ce qu’on ferait sans elle. Quand tant de pays se contentent de singer les grands frères américains avec plus ou moins de bonheur, l’Angleterre a, elle, toujours essayé d’amener son point de vue. Roots Manuva, par exemple. Un grand gaillard au flot rond et rocailleux à la fois, né du côté de Stockwell, dans le sud de Londres. Sa mère et son pasteur de père, émigrés jamaïcains de la seconde génération, l’ont baptisé Rodney Smith. Mais c’est bien sous le nom de Roots Manuva que, depuis 1999, l’homme apporte sa pierre au rap made in UK. Il l’a fait avec Brand New Second Hand, suivi deux ans plus tard de Run Come Save Me, qui incluait le désormais classique Witness. Awfully Deep a enfoncé le clou, en 2005. Le premier était épatant, le deuxième un petit chef-d’£uvre, et le troisième une fort agréable suite. En résumé, un grand bol d’air frais, trouvant écho jusque dans l’intelligentsia rock. Ouvrant également des portes pour des gens comme The Streets, Dizzee Rascal et consorts, ou annonçant par exemple le grime, genre urbain crucial des années 2000.

D’accord, très bien. Mais en 2008, Roots Manuva a-t-il encore quelque chose à dire? Peut-être plus que jamais, mais il a décidé de le dire autrement.

Retour aux racines jamaïcaines Sur le nouveau Slime & Reason, sa tchatche gouailleuse est toujours irrésistible. Son amour des basses « hénaurmes » du reggae-dub aussi – la colonne vertébrale de sa musique. Mais tout est dans la manière. Même sous influence caribéenne, la hip-hop de Roots Manuva est toujours restée une musique urbaine, nocturne souvent, piquée de blips électroniques brumeux. Ici, à l’image du titre Again and Again, il y fait désormais plein soleil. La rythmique dancehall est plus appuyée, des cuivres pétaradants sont même de la partie. On dit que le fait d’avoir un enfant fait autant grandir qu’il ne vous replonge dans votre enfance. Est-ce la nouvelle paternité du rappeur qui l’a fait revenir plus clairement vers ses racines jamaïcaines? Il le laisse deviner:  » Avec ce disque, j’ai essayé de me plonger dans l’ancienne esthétique Old Channel ou Studio One (Ndlr: label/studio/soundsystem phare de l’âge d’or du reggae). » Au passage, Roots Manuva se fait aussi amuseur public.  » J’ai été pas mal perturbé par les interprétations qu’on a pu faire du disque précédent. Nombre de blagues et de choses qui relevaient de l’humour sont passées au-dessus de la tête des gens. » Du coup, cela donne le clip de Buff Nuff, galop rap loufoque, dans lequel Manuva joue au marchand de glace. Il n’y a pas que la gaudriole dans ce disque. Comme sur The Show Must Go On, où il s’attarde bourré dans un café en se demandant s’il a vraiment envie que ses enfants voient ça. En fait, entre Slime & Reason, art et commerce, humour et désillusion, Roots Manuva est loin d’avoir fait son choix définitif: c’est peut-être ça qui le rend encore aussi pertinent.

www.rootsmanuva.co.uk

Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content