Bienvenue dans l’électroniquesombre et cotonneuse du Français Rone. Sont passés par ses machines rêveuses: un troisième albumCreatures– et une belle brochette d’invités.

« A Paris pour l’instant, la grosse scène, c’est Rone, Fakear, etc. On parle d’une musique assez froide, mélodique, mélodieuse même, très travaillée… C’est toute une école qui marche vachement. » C’est Etienne de Crécy qui parle. On peut lui faire confiance. Dans les années 90, le cofondateur de Superdiscount avait largement contribué à la popularité de la fameuse French Touch (courant qui chamboulera les musiques électroniques). Depuis, les cycles se sont enchaînés. Action-réaction. L’enchaînement classique. Après la turbine hystérique des années 2000, place donc à des nappes techno cinématographiques et à des bandes-son électroniques plus planantes. Celles que compose notamment Rone, alias Erwan Castex (Paris, 1980), nouveau chouchou de la scène française.

Prenez par exemple son tout nouvel album, intitulé Creatures. Après le crescendo lyrique de (oo), en ouverture, il s’embarque dans Acid Reflux, une rêverie cosmique et cotonneuse, sur laquelle vient se promener une trompette bouchée à la Miles Davis (en fait, le Japonais Toshinori Kondo). Tripant… Cette techno sentimentale, c’était déjà à peu de choses près le programme de Tohu Bohu, disque sorti en 2012, dont le succès fut tel qu’il bénéficia d’une ressortie sur le prestigieux label Warp. Trois ans plus tard, Rone porte toujours les mêmes lunettes cerclées de nerd savant. On l’imagine facilement enfermé dans son home studio, dialoguant des heures entières avec ses machines, cherchant la formule magique, le parfait équilibre. Dans les faits, c’est en effet à peu près comme cela que Creatures s’est construit. Au départ du moins.. . « Avec Tohu Bohu, je me suis retrouvé à tourner pendant près de deux ans. C’était très intense, j’ai pu faire plein de rencontres, de voyages… Mais après un temps, il fallait que je me pose un peu, que je me retrouve. J’avais accumulé pas mal d’idées, sans jamais trouver le temps de les finaliser. Du coup, à un moment, je me suis interdit d’accepter quoi que ce soit. » Rone tiendra bon. Jusqu’à ce que lui arrive la proposition impossible à refuser. « On m’a demandé de bosser sur un remix pour Etienne Daho. Je ne pouvais pas dire non. »

A partir de là, le verrou saute. Après une première phase en huis clos, Rone se tourne à nouveau vers l’extérieur. Renvoyant l’ascenseur, Daho sera le premier invité d’un disque qui finira par faire table d’hôtes… « C’est un personnage super attachant, très simple, sans aucune prétention. Très timide aussi. La première fois que je l’ai eu au téléphone, j’étais moi-même hyper intimidé. Du coup, cela a donné une discussion un peu surréaliste, avec de longs blancs (rires). Il y a quelques années, je l’avais aperçu dans un bar. J’étais avec des potes un peu bourrés, mais je n’avais pas osé aller lui parler. Des années plus tard, voilà qu’il me laisse des sms à 2 h du mat’ pour savoir comment avance notre « bébé » (rires). »

Quitte à ouvrir les fenêtres, autant que les invités s’éloignent le plus possible des étiquettes électroniques classiques. Qu’ils viennent, comme Daho ou François Marry (François & The Atlas Mountains), de la pop moderne française; voire, de manière plus surprenante encore, de la scène rock indie américaine (Bryce Dressner, du groupe The National). « Bryce, je l’ai connu via Gaspar Claus -un personnage romanesque, qui voyage partout avec son violoncelle sur le dos. J’avais un concert à New York. Gaspar y était aussi. Il m’appelé: « Rejoins-moi après, on fait un boeuf avec des potes, du côté de Brooklyn. » Quand j’arrive, je découvre que ses « potes », c’est The National, Sufjan Stevens… La crème du rock indie américain! On a joué ensemble, c’était un peu cacophonique, mais très drôle. »

Esprit de famille

De nouvelles pistes sont ainsi ouvertes, Rone proposant même ce qui ressemble de plus en plus à une vraie chanson. « Oui, mais en même temps, mine de rien, un morceau comme Mortelle (le titre chanté par Etienne Daho, ndlr) n’est toujours pas dans un format très pop. La structure reste un peu bizarre, il n’y a pas de refrain, la voix disparaît, puis revient… Cela n’est pas très académique. Je joue avec les codes. »

Avec un tel casting, Creatures aurait pu éventuellement se délier, voire se disperser. Jamais pourtant, Rone ne perd le fil. Paradoxalement, l’album est même le plus personnel qu’il ait pu proposer, insiste-t-il. « Celui dans lequel je me retrouve le plus. » C’est peut-être une question de moment. Après s’être posé un temps à Berlin, Rone est revenu en France, s’installant dans la campagne, à une heure de la capitale. « Paris est ma ville. Mais je n’étais pas encore prêt à y revenir complètement. » Il est aussi désormais père d’une petite fille. Entre deux biberons, il a donc bidouillé ses machines, pendant que sa compagne, l’illustratrice Liliwood, s’attaquait aux visuels du disque. Un vrai album en famille. « C’est aussi pour cela que ce disque est si intime… »

On est évidemment loin des clichés technos déglingués et drogués. D’où le mot de Flaubert que Rone se plaît à citer, pour éventuellement se rassurer: « Soyez réglé dans votre vie et ordinaire comme un bourgeois, afin d’être violent et original dans vos oeuvres«  Il explique: « Quand tu deviens parent, la vie change forcément, ton rythme est différent… Je me suis surpris à me dire: « Fais gaffe, deviens pas un vieux con (rires). » Mais effectivement, il ne s’agit pas d’être un taré, c’est dans la musique qu’il faut l’être. Tout est permis et possible dans l’art. La vie, c’est autre chose. »

Rone, Creatures, distr. InFine.

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En concert le 13/05, aux Nuits Botanique et en juillet au festival de Dour.

Rencontre Laurent Hoebrechts

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