Radiohead engagé dans un trip environnementaliste, Björk qui chante l’indépendance du Kosovo et du Tibet, Springsteen et d’autres militant contre le conservatisme de Bush,… Le rock retrouve-t-il la fièvrepolitique des sixties?

Le monde des années 60 semblait clair, tranché, schématique. Le bon rock libérateur de la jeunesse s’opposait à la société forcément répressive. Dans cette glorieuse époque du mur de Berlin, des mini-jupes et du socialismeà visage humain, Fidel Castro ressemble encore à un révolutionnaire et Bob Dylan à un protest-singer concerné. Très vite cependant, le disque de l’histoire se raye et les certitudes se dissolvent dans la naturelle complexité du monde. Les hippies ont la gueule de bois dès Altamont (1), le flower power devient un slogan pour t-shirts et les dissensions financières, plus encore que la bataille d’égos, achèvent la carrière des Beatles. Les pop-stars sont les nouveaux capitalistes et le rock de la fin des sixties se réveille barbouillé d’incertitudes. Pour couronner le tout, l’Elvis Presley rebelle de 1955 demande, en cette fin décembre 1970, à rencontrer le président Richard Nixon – l’un des plus conservateurs de toute l’histoire des Etats-Unis – pour devenir « agent fédéral dans la lutte contre la drogue »…

ESTABLISHMENT ROCK

Contrairement aux apparences pourtant, le couple rock et politique n’est pas mort. Les preuves abondent: de Clash à Billy Bragg, des Dead Kennedys à Rage Against The Machine, du Concert pour le Bangladesh (1971) à Live Aid (1985) en passant par son remake (Live 8 en 2005) et même notre belge manifestation anti-Vlaams Belang d’octobre 2006. Deux années avant celle-ci, à l’automne 2004, Bruce Springsteen et un groupe d’artistes américains de renommée participent à Vote For Change, une imposante tournée de concerts dont l’objectif est de contrer la réélection de George W. Bush. Ce n’est pas la première fois que l’establishment rock US signe un acte politique mais cette fois-ci, il le fait en prenant fermement parti pour un camp. On connaît le résultat: Bush va gagner un second mandat. Ce qui n’empêche pas l’actuelle course à la présidence 2008 d’impliquer à nouveau le monde musical du côté des démocrates: Bon Jovi fait un chèque à Hillary alors que l’influent magazine Rolling Stone mais aussi Jay-Z ou Russel Simmons soutiennent ouvertement Barack Obama. Springsteen moins clairement, même s’il apprécie le potentiel d’Obama de  » combler la distance entre le rêve américain et sa réalisation« . Lorsque Springsteen sort We Shall Overcome: The Seeger Sessions, en avril 2006, il rend hommage à Pete Seeger, inlassable militant des droits de l’homme, mais se pose également comme symbole d’une mythologie US qui remet l’individu au centre de la musique. Springsteen est politique parce que ses chansons à mémoire racontent des histoires greffées dans le présent. En cela, il touche à la matrice même du mythe américainqui veut qu’on puisse toujours échapper à son (funeste) destin.

BIO, éCOLO

Aujourd’hui, le rock n’est plus vraiment gaucho mais davantage bio, écolo, environno. Fin février, Radiohead annonce qu’il renonce à jouer au prochain Glastonbury parce que la pauvreté des moyens de transport public vers le festival anglais affecte l’environnement. C’est peut-être vrai mais si on replace cette décision dans le mode global de fonctionnement du groupe, le calcul est plus équivoque qu’admirable. Imaginez la quantité d’énergie gaspillée simplement pour télécharger l’album gratuit de Radiohead il y a quelques mois ou alimenter l’éclairage de leur prochaine tournée mondiale! Le groupe a les moyens d’acheter deux jeux d’instruments – un pour l’Europe, l’autre pour les Etats-Unis – pour éviter les transports transatlantiques et soulager sa conscience écolo. Bien, mais à l’arrivée, le non-Glastonbury de Radiohead est comme une chanson de Dylan au Live Aid: cela n’affectera pas durablement la conduite globale du monde. Alors, le rock n’est-il qu’une carcasse idéologiquement vide et un phénomène qui brasse de façon incohérente musique, glamour, marketing et déclarations tonitruantes? Non, le rock a un sens mais comme la culture, il ne parvient pas à changer le monde. Seulement à en ralentir l’inexorable conservatisme, à en révéler les fractures, à en lister les inepties. Sans renoncer à son job premier: donner du plaisir et de la beauté.

(1) Le 6 décembre 1969, les Rolling Stones donnent un concert gratuit à Altamont, en Californie, devant 300 000 personnes, dans un climat de violence. Un spectateur est poignardé à mort devant Jagger & C° et trois autres meurent accidentellement…

TEXTE PHILIPPE CORNET

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