ADULÉ POUR TRAINSPOTTING, OSCARISÉ POUR SLUMDOG MILLIONAIRE ET « OLYMPISÉ » POUR LES J.O. DE LONDRES, DANNY BOYLE NARRE DANS 127 HOURS L’HISTOIRE VRAIE D’UN ALPINISTE OBLIGÉ DE SE COUPER UN BRAS POUR SURVIVRE. TÊTE-À-TÊTE.

S’il capitalise sur les 8 Oscars de Slumdog Millionaire, Danny Boyle ne se repose pas sur ses lauriers hollywoodiens. Le réalisateur mancunien met actuellement en scène le Frankenstein de Mary Shelley (avec une B.O. signée Underworld) pour le National Theatre Live, qui projette ses représentations théâtrales dans les salles obscures du monde entier. Et a récemment été invité à créer les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux Olympiques de Londres 2012.

A travers 127 Hours, son nouveau long métrage, le réalisateur britannique nous conte l’histoire vraie d’un alpiniste américain coincé au milieu de nulle part, une main emprisonnée sous un rocher.

Assis inconfortablement sur le devant de son canapé dans un luxueux hôtel de Los Angeles, comme pour se rapprocher de son interlocuteur, Boyle, bavard, parle de son pouvoir de persuasion, du destin, et des c£urs qui s’emballent dans les salles…

Après un succès commeSlumdog Millionaire, se lancer dans un film pareil, un peu claustrophobe, avec pratiquement un seul personnage, ça tient un peu du suicide commercial, non?

Ça en sera peut-être un. Mais en attendant, nous nous sommes servis du retentissement de Slumdog pour permettre à ce projet d’aboutir. Ce n’est pas le genre de film facile à financer. Un mec tout seul dans un canyon qui finit par se couper le bras pour survivre… Tu sais dès le départ que tu vas avoir du mal à trouver le fric. En fait, je me suis mis en tête de raconter cette histoire, vraie, depuis un bout de temps déjà. J’ai rencontré Aron Ralston pour la première fois en 2006. C’était en Hollande où il passait ses vacances. Je lui ai décrit le film, du moins son approche stylistique. Mais il préférait l’idée d’un documentaire sous forme d’interview. Ce que je peux comprendre.

Comment l’avez-vous convaincu?

Dans un premier temps, je suis arrivé avec mes gros souliers. Pas prêt au moindre compromis. Je lui ai dit: c’est tout ou rien. Tu dois nous donner ton histoire et nous laisser la raconter à notre manière. Tout ce que je peux te promettre, c’est qu’on le fera de façon respectueuse. Moi, j’ai toujours cru et pensé que le seul moyen de rendre ce récit regardable, tolérable, c’était qu’on se sente si proche d’un comédien qu’on soit prêt à traverser cette épreuve avec lui. Nous n’avons pas pu nous entendre. Nous avons juste convenu que nous pourrions nous revoir. Et heureusement, les choses ont changé. Sans doute grâce au succès de Slumdog, qui l’a convaincu que nous étions une équipe décente et que son histoire aurait une vraie visibilité. Mais je pense aussi qu’il a évolué. Que le temps l’a changé.

Comment construit-on un film d’aventure qui tourne autour d’un seul mec, pratiquement incapable de bouger?

Il s’agissait de notre plus grand défi. On se le répétait tous les jours. En même temps, le personnage de James tente tout ce qui est en son pouvoir pour se libérer, même quand il sait déjà pertinemment que ça ne va pas marcher. Puis, surtout, de l’action, il en a beaucoup en lui. Il réalise que même s’il est solitaire, il a besoin de l’aide et du soutien de ses proches. On a tous déjà laissé sonner le téléphone pour ne pas répondre à sa mère quand on était en retard. Ou négligé l’affection reçue. Mais il commence à le regretter. Parce que c’est dans les endroits où tu te sens le plus seul que tu penses le plus aux autres.

Certains spectateurs ont fait des crises de panique en voyant James se couper le bras…

On savait évidemment depuis le début que cette scène prêterait à controverse. Alors évidemment, elle peut sembler longue, interminable, mais cet incroyable geste de survie ne s’est pas fait en un claquement de doigt. Il lui a pris trois quarts d’heure. Trois quarts d’heure d’une douleur que nous ne pouvons pas imaginer. Et que, je l’espère, nous n’aurons jamais à supporter. A partir du moment où on se lance dans ce voyage, on est prêt à tolérer ce qui va s’y passer. Prêt à regarder ce qui a priori semble irregardable. Et même à être content pour le personnage qu’il parvienne à s’amputer. Si on se dit qu’on a toléré beaucoup en regardant et supportant ce qu’il surmonte, lui, il y a survécu. Le danger évidemment, c’est qu’on ne parle et ne se souvienne de ce film que pour cette fameuse scène. Alors que tout ce qui vient avant et après me semble bien plus important.

Quels films vous ont particulièrement ébranlé en tant que spectateur?

Apocalypse Now, mon film préféré, et Eureka, une £uvre injustement méconnue de Nicolas Roeg avec Gene Hackman. Mais aussi L’Exorciste, étant un jeune gamin catholique. J’aime avoir le c£ur qui s’emballe au cinéma. C’est fabuleux quand un film peut te mettre à bout de souffle, te donner ce sentiment de vulnérabilité. Je ne veux pas que les gens tournent de l’£il en regardant 127 Hours. C’est arrivé 1 ou 2 fois mais étonnamment, vu l’intensité de cette histoire, 99,9 % des gens s’accrochent. Et James Franco, avec l’empathie qu’il parvient à susciter, y est pour beaucoup. Il s’agit d’un acteur assez intriguant. Parfois tu as l’impression qu’il est complètement stone, à moitié endormi. Mais ce n’est pas le cas du tout. Il ne se repose jamais. Il est toujours en train de chercher, de lire, d’explorer.

Les petites vidéos qu’il filme avec un ton parfois humoristique alors qu’il est coincé au milieu de nulle part sont assez saisissantes…

Elles sont vraies. Aron est quelqu’un de drôle. Il a un vrai sens de l’humour. Et quelque part, dans des situations extrêmement critiques, si tu peux garder ce genre d’étincelle, ça te maintient en vie. La plupart des messages qu’il a enregistrés sont tels qu’on les a présentés dans le film. L’espèce de talk show est une invention mais il représente pour nous un moyen de montrer sa désintégration.

Il y a un point commun entre Slumdog et 127 Hours, c’est l’idée du destin…

Aron n’a rien mentionné de tout ça dans son livre. Le moment où il dit que cet événement était écrit, prédestiné, qu’il était fait pour rencontrer cette pierre, nous l’avons imaginé. Il relève de notre interprétation. Mais il nous a dit qu’il avait ressenti ce sentiment. Qu’il avait l’impression d’avoir longtemps recherché ce moment. Que dans sa vie d’alpiniste, il est souvent arrivé au bord d’un précipice, à 2 doigts de tomber. La plupart d’entre nous ne se retrouveraient plus jamais dans ce genre de situation, mais les mecs comme lui vont toujours un petit peu plus loin. A un moment, ils se sentent invulnérables, omnipotents. Ils continuent à repousser les limites et un jour, ce genre de truc se produit. Ce qui est quelque part ironique, c’est que cette tragédie n’est pas arrivée avec un ravin mais dans ce canyon qui pour quelqu’un comme lui n’était rien du tout. Ce film, je le perçois comme un triple voyage. Un voyage physique qui se poursuit ensuite dans son c£ur et dans sa tête.

Depuis Trainspotting jusqu’à Slumdog en passant par le karaoké d’Une Vie moins ordinaire, la musique est omniprésente dans vos films. Dans 127 Hours, James Franco porte un t-shirt de Phish, le groupe préféré d’Aron Ral-ston, dont il cite d’ailleurs quelques paroles…

Je suis trop vieux pour aller aux concerts. C’est embarrassant. Les gens te regardent et se disent que tu es juste venu accompagner ton gosse. Mais je reste encore et toujours obsédé par la musique. Ma génération et toutes celles qui ont suivi ont grandi avec la pop. Elle nous renvoie à certains événements de l’Histoire et de nos vies. Le premier morceau de 127 Hours est l’£uvre d’un groupe américain: Free Blood. On était tous ensemble, avec l’équipe, et on s’écoutait de la musique avec nos iPad quand la costume and production designer a passé ce titre. J’ai su tout de suite que je tenais le début de mon film alors que nous ne l’avions pas encore tourné.

RENCONTRE JULIEN BROQUET, À LOS ANGELES

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