PUBLIÉE EN 1977, LA SATIRE DÉLIRANTE DE ROB SWIGART DRESSE UN PORTRAIT LIBIDINEUX ET SOUS LSD DE CETTE AMÉRIQUE QU’ON ADORE DÉTESTER.

Little America

DE ROB SWIGART, ÉDITIONS CAMBOURAKIS, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR FRANÇOIS HAPPE, 256 PAGES.

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Les éditions Cambourakis sont à la littérature ce que les brocanteurs sont au mobilier: elles chinent dans les greniers bien garnis des lettres américaines et en exhument des trésors oubliés. Après Don Carpenter (Sale Temps pour les braves) ou Eudora Welty (Le Brigand bien-aimé), c’est à Rob Swigart, né en 1941, que la maison d’édition offre ainsi une nouvelle jeunesse de ce côté-ci de l’Atlantique.

Ecrit en 1977, Little America appartient à cette veine satirique de romans qui taillent un costard à leur patrie et à ses valeurs puritaines brandies comme un certificat d’honorabilité mais cocufiées à la moindre occasion. Fortement imbibée de contre-culture, cette comédie déjantée passe au rayon X de son esprit corrosif les tares répertoriées de l’Amérique middle class: obsession du fric, valorisation de la virilité et de la puissance militaire, morale douteuse et surtout, mais alors surtout, pulsions libidineuses irrépressibles.

Sex and the city

Au coeur de ce gigot orgasmique découpé en 100 tranches de rire de deux ou trois pages chacune -une architecture fragmentée qui se joue de la chronologie des événements, accentuant l’effet hallucinogène distillé par une écriture dopée à la métaphore- s’affrontent deux personnages qui représentent les deux facettes de cette Amérique tiraillée entre son aile conservatrice, viscéralement anti-communiste -sauf quand le business s’en mêle- et sa jeunesse avide de liberté et de sincérité. D’un côté Orville Senior, ancien militaire qui a fait fortune dans les produits chimiques, notamment grâce à une sauce spéciale améliorée (on ne dira pas quel est cet ingrédient secret pas très légal) que s’arrachent tous les fast-foods du pays-, de l’autre son fils auquel il voue une haine sourde, Orville Junior, qui le lui rend bien en multipliant les tentatives de meurtre et ne pense qu’à délaisser à la première occasion la voie tracée par son bourreau (une carrière d’avocat) pour réaliser son rêve d’enfance: tenir une station essence à Little America, Wyoming, sorte de carrefour automobile des Etats-Unis où tout le monde finit par passer un jour.

De situations loufoques en péripéties sexuellement transmissibles (mais jamais vulgaires, l’auteur ayant l’image féconde), le récit secoué de Swigart trace une route en zigzag dans le paysage mental de cette Amérique en surchauffe. Comme toujours dans les bonnes histoires, les seconds rôles sont particulièrement gratinés. Ils doivent bien être une dizaine à monter sur scène, du cousin Owen qui se balade avec un camion rempli de matière nucléaire et ne résiste pas à l’appel de la chair, surtout si elle est adipeuse, à l' »ami » de Senior qui s’envoie en l’air avec sa femme faussement dévouée, en passant par le cuistot qui joue les maîtres-chanteurs ou le playboy junkie qui sert d’homme de main à Senior pour ses petites affaires.

Chaque personnage de ce vaudeville sous LSD est un peu comme une particule coincée dans une cuve dont la température n’en finit pas de monter. Ça part dans tous les sens, au sens propre et figuré, à mesure que le dénouement, forcément burlesque et tragi-comique, se profile à l’horizon. Une matière radioactive qui ferait une série télé d’enfer.

LAURENT RAPHAËL

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