Rire en terrain miné

On peut rire de tout, même des départs pour le Djihad, surtout s’il s’agit d’alerter les plus jeunes. Tel est le pari un peu fou du Voile Noir.

Pauline, la cousine de Gina, a disparu: elle est partie en Syrakie rejoindre le djihad au sein du Grand Khalifat! Une tragédie qui n’augure rien de bon: elle va finir entièrement voilée et mariée de force à un djihadiste ou se rendra elle-même complice de terrorisme. Et elle ne peut de toute façon rien attendre d’un retour: ce sera la prison. N’empêche, il faut tout faire pour la retrouver, l’exfiltrer et la ramener. Gina va ainsi se faire elle-même recruter, d’abord via le Net, ensuite en se rendant sur place pour retrouver Pauline. Quant à sa tante Alice, vieille féministe soixante-huitarde attardée, elle va carrément se faire passer pour un barbu afin de sauver tout ce beau monde! Car dans Le Voile Noir, c’est un peu comme si Mai 68 rencontrait Novembre 2015, ou comme si Bob & Bobette s’emparait d’une rubrique de La Revue Dessinée: un monde de BD rocambolesque qui a remplacé la lecture de Charlie par celle de L’Écho des Savanes! Et où les charniers et les coups de fouet côtoient les gags peaux de banane…

Rire en terrain miné

Fantaisie documentée

Il fallait oser. Casterman et son directeur Benoît Mouchart tenaient à relancer le principe de BD d’aventures pour ados au sein de leur catalogue. La scénariste Dodo était elle connue jusqu’ici pour sa longue collaboration avec Ben Radis (entre autres Max & Nina) datant des belles années de L’Écho, mélange d’humour facile et de moeurs contemporaines. Elle leur a donc proposé cette comédie d’aventures prenant pour toile de fond le terrorisme islamiste. Une comédie sulfureuse, crédible dans sa documentation et le parcours vécu par Gina, d’ailleurs directement inspiré de témoignages bien réels, mais en même temps totalement fantaisiste (et même un brin ringarde) dans les ressorts comiques et narratifs utilisés pour faire sortir Pauline de là, clins d’oeil presque permanents au franco-belge de papa, jusqu’au nom des patelins sous emprise islamiste! Un mélange détonant, où les dessins gentiment punk de la dessinatrice Cha, croisée tantôt dans Spirou, tantôt dans AAARG! font heureusement merveille pour à la fois désamorcer ce qui serait trop frontal et rendre ludique ce qui doit l’être. Au final, cette lecture décomplexée, potache, libertaire et féministe d’un fait de société et d’actualité particulièrement prégnant fonctionne mieux que ce qu’on craignait: les grands gamins devraient à la fois se marrer et en apprendre un peu plus sur Daesh, ses méthodes de recrutement et l’horreur médiévale que représente l’État islamique. Les tenants du politiquement correct devraient moins apprécier, mais ils ne sont pas au bout de leur peine: Dodo préparerait d’autres fictions du genre sur la prostitution en Afrique et le travail des enfants en Inde, peut-être même en reprenant les personnages de Gina et de tante Alice -laquelle lui ressemble comme deux gouttes d’eau.

Le Voile Noir

De Cha et Dodo, Éditions Casterman, 48 pages.

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