Richard Lange, éditions Rivages
Les Vagabonds
336 pages
Le trop rare Richard Lange prend une nouvelle dimension avec Les Vagabonds, polar effectivement fantastique, mais pas que.
Jesse et son petit frère Edgar, tels George et Lennie dans le classique de Steinbeck Des souris et des hommes, errent sur les routes désolées des USA. Deux âmes perdues, cette fois en 1976 dans le sud-ouest américain, un peu loqueteuses et qui ne vivent que la nuit. Jesse et Edgar passent de motel miteux en motel pourri sur l’autoroute qui relie Chicago à L.A., passant leurs nuits en compagnie de prostituées et de camionneurs. Deux hobos comme l’Amérique en produit tant, si ce n’est que Jesse et Edgar, comme d’autres de leur espèce, ont connu ces lieux remplis “de plantations d’orangers et de braseros”, avant que ceux-ci ne soient remplacés par “les motels et les stations-service”. Certains d’entre eux ont même connu la guerre de Sécession ou la conquête de l’Ouest. Car “les vagabonds” de Richard Lange comme Jesse et Edgar sont des vampires, obligés de se nourrir de sang au moins une fois par mois et d’éviter comme la peste les rayons du soleil et les pieux dans le cœur. Pour le reste, oubliez tout ce que vous croyez connaître du folklore vampirique, avec gousse d’ail, grandes dents et érotisme gothique: rien de tout ça ici. Juste un “vrai” polar, sec et terrible, avec des personnages qui certes ne meurent pas ou presque, mais qui tous ont appris, comme il se doit dans les grands romans noirs, à se méfier de l’espoir. “Jesse me dit de faire un vœu dans une main et de me chier dans l’autre, pour voir laquelle se remplit en premier.” D’autant qu’Edgar a dans le ventre “un petit diable de mauvais poil” tenant de la bombe à retardement, et que Jesse va se mettre à dos à la fois un chasseur de vampires, une bande de bikers et le plus puissant d’entre eux, et tous aussi désespérés et désabusés que lui, n’attendant que la rédemption: “Je suis né en 1806, et de mon point de vue, le monde va tout droit vers l’enfer depuis 1860.”
Virage et révélation
Richard Lange est un écrivain qui pèse ses mots: né en 1961, il n’est l’auteur “que” de nouvelles et jusque-là de trois polars (Ce monde cruel, Angel Baby et La Dernière Chance de Rowan Petty, les trois chez Albin Michel), tous très fidèles aux genres et aux sous-genres qu’ils abordaient. Et tous, on le perçoit mieux aujourd’hui, se focalisant sur les “losers” de l’Amérique moderne, du petit arnaqueur au clandestin mexicain en passant par toute une galerie d’âmes qui se damnent et se brûlent au soleil d’Hollywood -dans Les Vagabonds, ce sera celui de Vegas. On se demandait donc ce qu’il fallait attendre de cet inattendu virage fantastique (et de ce passage chez Rivages). Heureusement que du bien. Richard Lange s’y révèle un grand conteur de l’Amérique et de ses vagabonds, qu’ils soient assoiffés de sang ou d’espérance.
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