PARTI SANS LAISSER D’ADRESSE, L’IRLANDAIS DAMIEN RICE REVIENT AVEC UN NOUVEL ALBUM, LE PREMIER EN HUIT ANS! RENCONTRE EN ISLANDE, AVANT SON PROCHAIN CONCERT PRÉVU AU CIRQUE ROYAL.

Bárõarbunga. A bord du Boeing 757 d’Icelandair, la moitié des passagers essaie probablement d' »imprimer » le nom barbare. Le volcan qui s’agite alors en Islande n’est peut-être pas l’Eyjafjallajökull, mais il bouillonne en dessous du plus grand glacier du pays et Reykjavik ne se trouve qu’à 200 km à vol d’oiseau. La semaine précédente, l’espace aérien a d’ailleurs dû être fermé momentanément. On ne sait jamais… Personne ne vole avec plaisir à travers un nuage de cendres et un atterrissage d’urgence conduirait à devoir faire une croix sur la rencontre avec Damien Rice.

L’Irlandais est à Reykjavik pour mettre la dernière main à son nouveau disque, My Favourite Faded Fantasy, et reçoit un petit groupe de journalistes venus de toute l’Europe. Une occasion rare, tant Rice se frotte rarement aux médias. La dernière fois, c’était en 2009, dans le magazine Hot Press. Au menu, le split de son premier groupe Junip en 1998, l’exil temporaire en Toscane, son retour à Dublin fin 1999, et son premier album, intitulé O. « Mon idée était de faire juste un disque, histoire d’évacuer les chansons de mon système« , racontait-il alors. « One record, and leave it at that, you know? » Mais contre toute attente, O fera un carton, dépassant les deux millions d’exemplaires vendus.

A vrai dire, un tel succès reste une énigme. Rice n’est pas spécialement charismatique, sa voix n’est pas davantage exceptionnelle, et dans l’abondance actuelle de singer-songwriters-à-guitare-acoustique, ses chansons ne sortent pas forcément du lot. A moins que…? « Il a une capacité à accéder à sa propre vulnérabilité et à la transmettre », raconteRick Rubin. Le producteur a mis son expertise, et son studio Shangri La, du côté de Malibu, à disposition de l’Irlandais, tout au long des quatre ans qu’a durés la confection de My Favourite Faded Fantasy. Il décrit le nouveau disque de Rice comme « un magnifique paysage surréaliste en Technicolor », et le chanteur lui-même comme « a beautiful, charming and tortured soul ». L’intéressé se marre: « Ah, c’est surtout Rick qui projette. En fait, c’est plutôt de lui qu’il s’agit. »

La rencontre a lieu dans le grenier de l’Idno, l’un des plus vieux théâtres/restaurants de Reykjavik, à côté du lac Tjörnin. Le coin a volontiers des airs d’Irlande, glisse-t-on pour briser la glace. « Au moins, ici, vous avancez, explique Rice. Vous ne perdez pas de temps aux terrasses des cafés. Et puis, toutes les bonnes musiques ne viennent-elles pas d’endroits avec ce genre de météo? Dublin, Seattle, Liverpool, New York, Manchester… Pour moi, vous pouvez rajouter Reykjavik à la liste. La ville ne compte que 120 000 habitants, mais vous avez vu le nombre d’artistes qu’elle a révélés? »

Le plus grand des salauds

Le chanteur a plutôt l’air affable et détendu. Loin en tout cas de l’image esquissée après une première écoute du disque. Morceaux choisis: « I have tried but I don’t fit into this box I’m living with / I could go wild but you might lock me up » (The Box)ou encore plus loin: « I made you laugh, I made you cry, I made you open up your eyes, didn’t I? / I helped you open up your wings, your legs and many other things, didn’t I? » Titre du morceau: The Greatest Bastard. Le plus grand des salauds, vraiment? « Chaque morceau du disque est chanté comme si je me regardais dans un miroir, déclare Rice. Même quand j’utilise le « nous », je parle des différents « je » qui cohabitent en moi. »

« Après, nous apprenons tous à être sympathiques les uns avec les autres, du moins c’est comme cela qu’on vous éduque en Irlande, en « bon chrétien ». Mais pas de la manière appropriée. A force de batailler pour présenter toujours sa meilleure face, on se perd complètement. J’ai envie d’arriver au point où je peux m’asseoir en face de quelqu’un et mettre toutes mes affaires sur la table. Parce que je peux être à la fois une vraie tête de bite, mais également un garçon très aimable. Je peux être déprimé, mais aussi optimiste. J’ai réalisé qu’en essayant de réconcilier toutes ces différentes parties de moi, je pouvais devenir meilleur. »

Tout cela semble fort tenir de la thérapie, glisse-t-on. Quel rôle Rubin a-t-il joué à ce niveau-là? « Dans le studio, nous avions accroché une feuille sur laquelle étaient inscrits tous les titres des morceaux. Tout en haut, Rubin avait rajouté en grand: « Fuck your feelings ». C’est son credo. Don’t judge it, just do it.C’est ce que j’avais besoin d’entendre. Je me trouvais dans une phase de transition. J’étais en colère contre moi-même, je devais réapprendre à m’accepter. Une fois que j’y suis arrivé, que j’ai cru me remettre au boulot, j’avais de nouveau perdu le fil. Je ne me haïssais plus, mais maintenant c’était la musique que je vomissais. Il a fallu Rick pour me remettre sur le chemin. Aujourd’hui, je déborde d’idées, j’ai l’impression d’avoir à nouveau 17 ans. »

Tout de même, comment explique-t-il que malgré ce processus souvent si compliqué, il trouve à l’inverse si facilement le chemin du grand public? « En m’en fichant complètement. » Ouille. « Sérieusement. Vous donnez davantage au public en ne vous en souciant pas, aussi ironique ou arrogant que cela puisse sonner. C’est comme cela que ça marche aussi en amour, non? Celui qui essaie trop fort de plaire échoue à tous les coups. »

On insiste. « Le fait est que je n’ai aucune responsabilité ou obligation envers mon public… Je veux dire… » Il hésite, cherche ses mots, tandis que l’attachée de presse s’approche pour sonner la fin de l’interview. « Bah, tout cela ne veut pas dire grand-chose au final… La seule chose que j’essaie de faire est de dénouer mes conneries, être authentique, exprimer tout cela en mots et en chansons, pour pouvoir ensuite les enregistrer, et les amener sur scène. De la manière la plus juste possible. Mais je ne dois pas le faire, pour rien ni personne, à part pour moi-même. »

DAMIEN RICE, MY FAVOURITE FADED FANTASY, DÈSLE 31/10, DISTRIBUÉ PAR WARNER. EN CONCERT CE 26/10, AU CIRQUE ROYAL, BRUXELLES.

RENCONTRE Jonas Boel, À Reykjavik

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