DE DOMINIQUE ANÉ, ÉDITIONS STOCK, 96 PAGES.

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Avec Y revenir (Stock, 2012), Dominique A(né) publiait un premier texte autobiographique pudique sur son retour à Provins, village natal d’attachement et de désamour mêlés, pour y questionner l’appartenance à l’horizon pétrifié qui l’avait vu naître -comment il l’avait investi, pourquoi il l’avait quitté. Il en fallait visiblement plus pour clore le dossier, et c’est tant mieux: la question géographique lui est visiblement une prolifique obsession. Quelques semaines seulement après la sortie d’Eleor, son nouvel album, voilà le chanteur majuscule reparti en littérature avec Regarder l’océan, et il est tentant de voir dans ce deuxième livre un prolongement intime du disque: si, sur Eleor, les espaces sont avant tout objets de voyages au long cours ou de projections poétiques, dans Regarder l’océan, il s’agit surtout d’arpenter des territoires connus et dont on se souvient, réceptacle d’intimités biographiques. Des bouts de territoire pour la plupart anodins (monde de châteaux d’eau, de hangars de campagne et de « presque-villes »), sans saveur intrinsèque -il s’agit moins des endroits ici que du regard qui s’y dédie. Les lieux gardent-ils quelque chose de ce qu’on a pu y vivre? En moins de 100 pages et une petite vingtaine d’entrées indépendantes courant sur deux à trois pages, Dominique A piste les traces, cartographie les défaites minuscules, l’origine des désirs (les premières filles, le rapport au corps, ou à la voix).

S’y dessine le portrait d’un enfant, adulte et chanteur en devenir. Signe distinctif: cette attention permanente, inquiète, à ce qui se referme, s’évapore, bientôt ne sera plus. Quitter, être quitté, changer, accepter de perdre: dans un phrasé mesuré, retenu, d’une belle sobriété seulement troublée ici et là d’une phrase d’une justesse sidérante (des phrases comme des brèches, dans lesquelles le lecteur, c’est inévitable, finit par aller enfouir quelque chose de sa propre nostalgie), Dominique Ané parvient avec une extrême finesse à s’approcher du passé -le convoquer par bribes, savoir qu’il est là, ne pas forcément le réveiller tout à fait. Scrutant la trace des hommes dans le paysage, jusqu’au fantasme de l’intouché des origines, l’idée est persistante: les lieux ne nous doivent rien, mais nous leur devons parfois qui nous sommes -visions métaphysiques, mélancolies singulières, épiphanies. La réconciliation avec les étendues, donc, mais surtout avec qui l’on est: comme l’annonce Pierre Bergounioux convoqué ici en exergue, il s’agit parfois aussi, devenu adulte, de s’en retourner apaiser l’enfant qu’on a été.

Y.P.

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