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Un super-héros robotique venu des rues de RDC.

Le Kinois Precy Numbi fabrique des prototypes foldingues de robots sapiens, et performe lors d’une expo en plein air au Parc Royal inaugurée ce 17 septembre. Afro-sci-fi également conscientisée.

Coincée entre un vaste terrain vague et un bout de tunnel sans gloire, dans un coin d’Anderlecht qui n’emportera aucune médaille de convivialité, une ancienne usine de textiles. Aujourd’hui déclassée, elle s’est fait un bout de réputation bruxelloise par l’ouverture en son sein d’une salle de concerts -le Volta- et de locaux de répétition suffisamment éloignés d’un voisinage habité que pour autoriser un boucan autour de l’horloge. Si le futur est incertain -le vaste ensemble devrait être démoli et reconstruit dans les prochaines années-, le lieu loge aussi des artisans et des associations, dont Café Congo. Création d’une journaliste et activiste culturelle se définissant elle-même comme  » afro-descendante« , Gia Abrassart, l’espace sous-traite sur 400 mètres carrés, des bureaux, un coin bar cosy, des expos, des rencontres, des fêtes et des ateliers. On y retrouve pour la seconde fois en quelques semaines Precy Numbi, artiste congolais de 28 ans, qui partage une spacieuse parcelle avec un collègue rwandais. Ici, on célèbre l’Afrique au sens large, en ignorant les frontières géopolitiques. Autour de Precy, du brol hétéroclite, reliefs d’une consommation industrielle fanée: ce qui reste après leur vie active, d’ordis, imprimantes, bagnoles, télés et autres divisions d’objets désormais déclassés. Motif de leur présence: la construction de ce que le plasticien nomme ses  » robots sapiens ».

Precy Numbi, travaille ses robots sapiens dans l'atelier de Café Congo installé dans une ancienne usine textile d'Anderlecht, essentiellement avec des matériaux de récupération.
Precy Numbi, travaille ses robots sapiens dans l’atelier de Café Congo installé dans une ancienne usine textile d’Anderlecht, essentiellement avec des matériaux de récupération.© PHILIPPE CORNET

Vingt-trois kilos de costard

On s’approche alors de près, de très près, quitte à coller le nez sur un amas plastico-ferrailleux qui rassemble entre autres une carlingue de moto, un casque vaguement intégral, des micro-transistors, des zestes de computer, des résistances qui n’en font plus, des bidules électroniques, une plaque de bagnole et autres rebuts du grand cimetière capitaliste. Precy:  » C’est ce que l’Occident envoie en Afrique pour se débarrasser de ses objets morts. Et là, je trouve bien de retourner à l’envoyeur toute une matière inutile de déchets dangereux pour l’environnement, mais alors, transformée en robots sapiens. » Precy a amené une partie de cette miraculeuse brolitude de la République démocratique du Congo, et puis a également été récolter divers éléments au gré de pérégrinations dans Bruxelles. Les alentours de l’usine constituant déjà un impressionnant supermarché gratos de déchets industriels, parfois simplement jetés à même la rue,  » y compris ce qui, au Congo, comme ici d’ailleurs, pourrait encore être utilisé! »

Justement, les costumes robotiques de Numbi, baptisés kimbalambala -véhicule usé en lingala-, ne sont pas juste un appendice vestimentaire ou une dingue carlingue de 23 kilos, tiers du poids de son créateur. C’est aussi un costard pas vraiment facile à enfiler sans l’aide d’autrui: Gia Abrassart, la patronne de Café Congo, met donc la main au cyber-deux pièces et Precy se robotise en quelques minutes. Passant de jeune mec cool à dreadlocks et bonne gueule en Transformer artisanal. Pas forcément le genre de créature qu’on aimerait croiser, en soirée, dans ce coin d’Anderlecht. Ni ailleurs. Une fois débarrassé de son armure génialement assemblée, revenu au tee-shirt civil, Precy montre une vidéo tournée à Matonge, celui de Kinshasa. Quartier central de la musique congolaise, haut-lieu festif, ses rues sont perpétuellement encombrées de passants, de petits commerces ambulants et de bagnoles. Le principe de Precy est simple: sortir en robot sapiens et déambuler dans la tropicale circulation. Suivi par une caméra souple dans un long et parfait plan-séquence et accompagné d’un assistant -qui lui évite de se casser la gueule dans les surprises du bitume-, Precy slalome entre les taxis, s’arrête devant un bus et un conducteur stupéfait, apostrophe gentiment la foule. Et devient le centre de toutes les attentions dans une zone qui n’en manque pas. Cinq minutes après cette première saillie de performance, débarquent -évidemment- les flics. La scène vire au Tati (le cinéaste, pas le magasin) version africaine: la force de l’ordre, visiblement désemparée -le cas ne doit pas être enseigné à l’école de police…-, tente d’intercepter mollement le Precy sapiens. Qui, imperturbable et peut-être un rien sourd dans son harnachement, continue sa route. Visiblement dépités, les hommes en bleu, ayant épuisé leur quota d’autorité, se contentent de disparaître du cadre. Ce qui n’est pas toujours le cas.

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Robopolitique

Fils d’électricien -ce qui dans son cas, peut servir…-, Precy est né à Kisangani, au centre du pays, dans une famille où l’engagement politique compte.  » Mon père a eu des ennuis avec le régime de Mobutu, qui l’a emprisonné et torturé. Il n’avait pas voté pour le bon candidat… Et là, il est toujours porte-parole des sans-voix. » Ce que Precy n’oubliera pas. Étudiant aux Beaux-Arts de Kinshasa, il effectue depuis 2016 des workshops et des résidences à l’étranger, au Burkina Faso, au Congo-Brazza et en France, où l’imaginatif bidouilleur-inventeur est remarqué à la parisienne Cité internationale des arts. De bourses en expos, Precy creuse sa route robopolitique. Aujourd’hui, il vit une relation amoureuse avec la Belgique, en tout cas avec une historienne d’origine gantoise,  » très blanche » (il sourit), mère de leur Léo  » belgo-congolais » de six mois.

La rencontre s’est faite à l’est du Congo suite au séjour en prison de Precy:  » à cause d’une performance« . L’artiste a voulu travailler du côté de Goma, et y développer des projets avec les enfants des rues, de gosses de militaires qui ne sont pas payés, d’orphelins. Fabriquant avec ces gamins largués au bord du lac Kivu des projets avec du carton,  » matière qui signifie aussi la protection ». « On a fait des costumes et on est descendus à 40 ou 50 pour défiler devant les ONG de l’est du Congo et les institutions de l’État. Une façon d’interpeller. » Ce jour-là de 2016, Precy entend la nouvelle d’un massacre survenu au Kasaï, des dizaines de villageois y ont été retrouvés sans vie.  » J’ai eu envie de faire un geste artistique de partage avec la communauté. Avec cette idée que le Congo ne devait pas être un champ de bataille arrosé par le sang pour récolter la tristesse. » À Goma, Precy et ses trois acolytes aménagent un rond-point où un tuyau fait couler un colorant rouge sur le sol et les corps du quatuor. Les performers sont allongés sur le sol, tenant dans leurs bras rouges de (faux) sang, des croix rappelant le massacre. Une foule intriguée se constitue vite, même si les spectateurs se demandent bien ce que cela signifie.  » Dans cette région, les gens ne connaissent pas la notion de performance, qui ce jour-là était sans langage autre que gestuel. Et puis les roulages (la police routière) ont débarqué et eux non plus, n’ont pas compris ce qui se passait. Ils m’ont demandé de disperser la foule mais je n’en avais pas le pouvoir! » Precy et ses compagnons filent fissa au cachot, après une brève rencontre avec le procureur.  » On a été considérés comme des rebelles… J’ai passé une semaine et demie en prison, je n’avais jamais vécu ça. C’était horrible. Mais j’ai découvert des choses et des personnages que je n’avais jamais vus, des politiciens, des prêtres, des activistes. Dans des scénarios que je n’aurais jamais imaginés…C’est là que l’idée est venue de créer un personnage de super-héros. Et pour moi, il faut de l’action, c’est le moyen d’être plus forts, de trouver des solutions à nos problèmes. »

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Ninja

Gamin, Precy ne rate pas sur TV5 un épisode des… Tortues Ninja. Inspiration majeure parce qu’il considère que c’est une  » famille de robots qui ne sont pas censés faire du mal (sourire) » . « Pourquoi les Congolais, les Africains, ne pourraient-ils pas créer leurs super-héros? Mon idée est aussi de décoloniser cette idée que vous nous avez longtemps vendue et pourquoi pas, d’évoquer nos propres symboles, comme celui de Patrice Lumumba. » À ces créations complexes et lourdes -de poids et de conséquences-, Percy ajoute en cette fin d’été 2020 une série de masques. Toujours assemblés avec des matériaux de récup, toujours avec une imagination qui dépasse les frontières géographiques ou de styles. Peut-être simplement l’émanation d’une verve poétique talentueuse. Pratiquement parlant, l’imagerie foisonnante de Precy doit se retrouver à partir de la mi-septembre dans l’incarnation suprême de la vieille belgitude qu’est le Parc Royal de Bruxelles. Via une expo collective où l’on verra des photos de ses oeuvres mais aussi, le jour du vernissage public le 17 septembre, une performance in situ.  » Je suis aussi dans la quête de rencontrer ma grande famille congolaise qui est ici en Belgique, et de lui redonner confiance. Réveillez-vous, vous devez vous lever, vous n’êtes pas des victimes! Je suis votre super-héros et je suis bien vivant! » Mumbi est le nom, en kiluba, d’un guerrier katangais dont le rôle consistait d’abord à nourrir sa famille. Ce Numbi-ci fait plutôt dans les nourritures spirituelles et c’est bien comme cela.

cafecongo.tumblr.com

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Un parc belgo-congolais

En plus de ses projets intra-muros, Café Congo fait également prendre l’air aux artistes afro-descendants. Et pour l’expo Congo Arts Eza, CC s’associe à Wetsi Mpoma, curatrice/directrice de la Wetsi Art Gallery bruxelloise. Celle-ci commente l’expo qui s’accroche aux grilles du Parc Royal à partir du 17 septembre. « En tant qu’historienne de l’art, je suis passionnée de ce qui valorise la culture africaine post-coloniale. Née au Zaïre en 1976, je cherche à travailler avec des artistes congolais, rwandais et autres afro-descendants, mais de manière générale, on se retrouve souvent entre Noirs de Belgique. Et là, au Parc Royal de Bruxelles, lieu très symbolique, c’est évidemment l’occasion d’intéresser un public plus large, avec des reproductions -on sera en plein air- d’oeuvres de jeunes, de doyens, d’hommes et de femmes multiples. Comme Bers Grandsinge, aîné des artistes sélectionnés, qui gagne sa vie par son travail, sans forcément pouvoir s’insérer dans le réseau des artistes africains contemporains ».

Congo Arts Eza: à partir du 17 au 27/09 au parc royal à Bruxelles, www.facebook.com/wetsi.art.gallery et www.cafecongo.be

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