Entre la chimie et les maths, Tv On The Radio n’a pas choisi. Tant mi eux: Dear Science, leur troisième album, est un des disques à retenir de 2008.

C’était en 2004. Depuis New York, le groupe Tv On The Radio faisait son apparition avec un premier album éblouissant, Desperate Youth, Blood Thirsty Babes. Assez culotté en tout cas pour marquer les esprits de ce côté-ci du rock indépendant. Entendez hors format, capable de mêler des couleurs aussi différentes que le jazz, le doo wop ou la new wave. A l’£uvre, un noyau composé du géant Tunde Adebimpe, chanteur soul impressionnant; Kyp Malone, guitariste à la coupe afro démesurée et Dave Sitek, producteur binoclard inspiré. Le casting parfait.

Quatre ans plus tard, le crédit du groupe n’a fait qu’augmenter. En 2006, Return To Cookie Mountain avait déjà fait le break: oui, il faudra bien compter sur Tv On The Radio pour donner, sinon un avenir, au moins un présent au rock. Entre-temps, Sitek, responsable notamment du premier album de l’actrice Scarlett Johansson, est également devenu l’un des producteurs les plus demandés ( lire plus loin).

Voici donc maintenant Dear Science. Un troisième album qui se profile comme un des disques de 2008: il faut bien dire les choses comme elles sont. Et Tv On The Radio de passer définitivement pour le groupe le plus « cool » du moment. Pour en parler, Dave Sitek et Kyp Malone ont fait le déplacement, attablés à un vieux café surréaliste bruxellois. Le voyage et le décalage horaire ont laissé des traces. En clair? Avant de s’animer, la discussion se traîne volontiers. Les premières questions font l’effet de petits galets, qui ricochent une fois, deux fois, puis plouf. Vogue la galère… A propos des sessions d’enregistrement par exemple, Kyp Malone marmonne:  » J’ai l’impression de ne pas avoir été vraiment présent tout le temps. Même si, dans les faits, j’étais là en permanence. J’ai vu l’enregistrement passer. J’ai fini par me dire que ce n’était peut-être pas une bonne chose. Une sorte de routine. Alors, j’ai essayé de me sortir de là. Je ne sais pas… C’est juste que… C’est bizarre… Mais peu importe comment cela s’est déroulé, si j’ai été actif ou pas. Cela s’est juste passé, comme un rêve ou quelque chose comme ça. » On se souvient que lors d’une première rencontre en 2004, Malone avait expliqué aimer se fondre dans un groupe et être heureux de devoir parfois faire des concessions. Il sourit:  » J’ai dit ça? Bah, il y a des hauts et des bas. Mais au bout du compte, c’est vrai qu’il y a pas mal à gagner en élargissant la perspective à plusieurs voix. Donc oui, j’aime toujours faire des compromis (rires). En fait, il y a toujours beaucoup de monde dans le studio… Cela doit rester ouvert, et ce le sera toujours. On aurait fait un autre disque si on avait laissé tout le monde dehors. »

Là où, pour créer, un groupe comme Radiohead semble préférer une certaine forme d’autarcie, voire d’autisme, Tv On The Radio chercherait plutôt la brise extérieure. A moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’un sens plus aigu de la communauté. Ils ne viennent pas du bouillonnant quartier de Brooklyn pour rien. Dave Sitek, par exemple:  » Tv On The Radio ne serait pas là où il est sans une série de personnes qui dépassent le groupe. Comme tous ces gens qui sont venus nous voir quand nous étions vraiment terribles, et qui revenaient! » Plus précisément, au sujet de Dear Science:  » Nous ne voulions pas réaliser un disque fait de bouts mis les uns à côté des autres. Une sorte de grand copier-coller, comme c’est de plus en plus souvent le cas. Nous voulions faire un disque à la Quincy Jones en quelque sorte. Ce qui implique pas mal de monde, avec de vraies cordes, des vrais cuivres… »

Science et religion

Faut-il encore dissiper le malentendu? De par son côté aventureux (voire expérimental), Tv On The Radio a souvent été présenté comme un groupe arty. Pourtant, son jeu est d’abord et avant tout physique, viscéral: il suffit de le voir à l’£uvre sur scène. Par contre, cela ne le dispense pas d’avoir un discours. Avec ses accents propres: jamais lénifiant, toujours agrémenté de l’une ou l’autre vanne qui désamorce une discussion qui pourrait devenir trop plombée. Certains ont cru par exemple déceler une dimension littéraire dans le nouveau disque, à la faveur de son titre, Dear Science, virgule comprise. Un coup dans l’eau…

Par contre, explique Malone,  » c’est vrai que le titre part bien d’une lettre. Une sorte de blague que Dave a pondue un jour. Il y envoyait ses réclamations à la Science« . Sitek confirme:  » La science est empêtrée dans la défense d’intérêts privés. Quand on y pense, quelle est la dernière maladie à avoir été guérie par la science: la polio?! Alors, quoi? Tout ce que tu es capable d’inventer, Science, c’est des lecteurs mp3 et des moteurs qui continuent à fonctionner au pétrole? Tu es un sacré trouduc, Science! (rires) Quand j’ai écrit cette lettre et que je l’ai affichée sur les murs du studio, on était parti sur autre chose. Mais finalement, elle faisait rire tout le monde et elle a fini par correspondre à quelque chose. »

Le progrès scientifique a permis d’envoyer l’homme sur la lune. Dans le même temps, il a aussi amené la bombe atomique, avec cette possibilité, inédite jusque-là, d’une autodestruction finale. Le genre de schizophrénie qui continue régulièrement de poser question. Sitek toujours:  » La science se présente souvent comme supérieure aux religions. Mais la science est devenue une religion en soi! D’ailleurs, l’un comme l’autre foirent complètement. Les deux systèmes fonctionnent sur la même tendance archaïque à la domination, chacun accusant l’autre en permanence de tous les maux. Or, quand vous quittez ces petits jeuxlà, il y a le reste de l’humanité qui souffre. Ils revendiquent tous les deux l’amélioration des conditions de l’homme. Mais si l’on regarde les choses en face, il faut bien constater que les choses ne vont pas mieux. Au contraire. J’ai toujours eu mes doutes quant à la religion. J’ai aujourd’hui les mêmes sur la science. »

Think global, act local

Reste alors à trouver une troisième voie? Sur le disque de Tv On The Radio, cela donne ce mélange entre maniaquerie de studio (le labo) et grands élans d’inspiration. Pour Sitek, toujours plongé dans sa diatribe, cela donne ceci:  » La seule solution est à trouver dans l’action locale. Je suis toujours méfiant envers les grands groupes. Vous y avez trop à y perdre. A la place, je pense qu’on a tous une responsabilité personnelle. » « Evidemment, les entreprises ne sont pas de entités abstraites, enchaîne Malone . Prenez les débats qui ont eu lieu autour du tabac. Quand vous demandiez à un cadre travaillant pour un cigarettier si sa femme enceinte pouvait fumer sans problème, il ne pouvait pas répondre oui. Mais il y a comme une déshumanisation dans l’entreprise qui fait que si son but principal est de faire de l’argent, les gens passent après.  » Sitek embraye:  » Un autre exemple: celui des OGM. D’un côté, il y a une multinationale comme Monsanto, dont le but est de faire un maximum de fric: elle n’aurait rien eu à foutre des OGM à moins de pouvoir l’introduire dans le système commercial. De l’autre, ils mettent au point des organismes qui pourraient amener de la nourriture dans des endroits où il n’y en a pas… » Malone tique: « En attendant, les gens ont vécu pendant des millénaires sans avoir recours à ces organismes génétiquement modifiés. Pourquoi aujourd’hui le monde a faim? Peut-être que c’est à cause de mon addiction au café ou aux fraises… Tout est lié. »

En 2005, Tv On The Radio offrait sur le Net le morceau Dry Drunk Emperor, revendiquant ouvertement son opposition à Bush. Trois ans plus tard, le groupe soutient-il pour autant le candidat Obama? Sitek est cohérent:  » Je souhaite évidemment qu’Obama gagne. Mais je veux surtout que l’on arrête d’attendre que les choses changent, et que chacun prenne les choses en main. P…, il n’y a pas besoin d’un nouveau président des Etats-Unis pour éteindre les lampes de son salon quand on ne s’y trouve pas! Vous pouvez faire bouger les choses maintenant. »

Comme Radiohead par exemple, qui, lors de sa dernière tournée, a mis en avant une série de mesures prises pour limiter son impact écologique?  » Oui, on y réfléchit. Ce sont des choses qui sont de plus en plus faciles à mettre en place, grâce à des groupes comme Radiohead. » Sitek fait alors une petite pause, avant d’enchaîner goguenard: » Par exemple, nous voulions faire des interviews par Internet et éviter ainsi les trajets en avion. Mais notre maison de disques a insisté pour faire le déplacement et organiser des rencontres en face-à-face. Apparemment, c’est une question de vie ou de mort pour les journalistes… », rigole-t-il. On l’aura bien cherché… l

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Rencontre Laurent Hoebrechts

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