COMPOSÉ POUR UN SPECTACLE DE DANSE DE WAYNE MCGREGOR, ATOMOS, LE NOUVEL ALBUM D’A WINGED VICTORY FOR THE SULLEN, SE TEINTE DE SONORITÉS ÉLECTRONIQUES ET AFFIRME LA SPLENDEUR DU NÉO-CLASSIQUE.

C’est l’histoire de deux Américains exilés en Europe. D’un New-Yorkais installé à Bruxelles et d’un Californien qui habite à Berlin. Adam Bryanbaum Wiltzie et Dustin O’Halloran sont les deux cerveaux qui bouillonnent paisiblement sous la casquette d’A Winged Victory for the Sullen. Projet de musique néo-classique qui s’est depuis quelques années infiltré dans les plus grands et prestigieux festivals de rock.

Le premier rêvait de devenir tennisman professionnel, a pris part à un tournoi auquel était inscrit André Agassi (« enfin, j’avais huit ans »). Il a joué dans les années 90 les ingés son pour les Flaming Lips et Mercury Rev période pré-Deserter’s Songs et monté de solides projets ambient comme Stars of the Lid.

Le second est compositeur. A notamment bossé sur la bande originale du Marie-Antoinette de Sofia Coppola et, curiosité, la BO d’un documentaire (The Other Dream Team) relatant la participation des basketteurs lituaniens à leurs premiers Jeux Olympiques. « Grosso modo, il raconte l’indépendance du pays à travers son équipe de basket, explique O’Halloran. C’est une histoire assez incroyable. En 1992, la Lituanie venait de naître et n’avait pas spécialement de fric pour envoyer ses sportifs aux J.O. Sa dream team ne doit sa participation qu’au sponsoring du Grateful Dead qui a financé le voyage. Jette d’ailleurs un coup d’oeil aux t-shirts, ils étaient très psychédéliques…  »

« Cette équipe a inspiré la population et lui a donné confiance en ses moyens après des années et des années de guerre, de pauvreté et de communisme« , ajoute son comparse. Ce qui est marrant, c’est que si on nous connaît surtout pour Winged Victory, on fait notre beurre avec des musiques de films et des licences. Pour la bande annonce de Godzilla ou de Transformers par exemple en ce qui me concerne. Je ne comprends toujours pas comment on a atterri dans ce monde. Mais il aide à financer nos disques. »

Le deuxième ensemble, Atomos, qui vient de sortir sur le label Erased Tapes, est intimement lié au monde de la danse. Il ne serait d’ailleurs pas né sans lui. « Nous n’avions jamais côtoyé le milieu, avoue Dustin. Nous ne nourrissions même pas vraiment d’intérêt pour le sujet. Disons que nous étions curieux et que nous avons eu envie de nous y frotter. Nous avons été contactés par un chorégraphe plutôt célèbre. Un mec passionnant qui nous a laissé un grand espace de liberté. »

Ce chorégraphe, acclamé pour son inventivité, c’est Wayne McGregor. Fondateur de la compagnie Random Dance et notamment résident du Royal Ballet. Après avoir fait répéter ses danseurs pendant des heures et des heures sur la musique d’Adam et Dustin, McGregor leur a tout logiquement proposé de composer pour sa nouvelle oeuvre.

« Il avait déjà travaillé avec d’autres musiciens comme les gens de Radiohead (chorégraphiant le clip d’un de leurs morceaux, Lotus Flower, et du Ingenue d’Atoms for Peace, ndlr) et collaboré avec un tas d’artistes intéressants. Wayne n’est pas juste un chorégraphe. Il mène aussi des recherches et y insuffle beaucoup d’énergie. » McGregor est depuis toujours fasciné par les sciences, les machines et la mécanique. Son travail est d’ailleurs marqué par l’utilisation de nombreux outils technologiques. Récemment, notamment, un logiciel intitulé Becoming. Une espèce de danseur grandeur nature doté d’intelligence artificielle, capable de transformer des informations en mouvements 3D avec lesquels les danseurs peuvent interagir.

Atomes crochus

En s’embarquant dans cette excitante aventure, jamais les Winged Victory ne s’imaginaient bénéficier d’une telle marge de manoeuvre. « Wayne ne nous a pas demandé de composer sur des mouvements. Il nous a laissés entamer le processus. Il est sur le cul de ses danseurs. Très exigeant. Mais il nous a juste envoyé quelques photos et de petites vidéos. Il nous a vraiment inspirés plus que dirigés. »

Le spectacle s’appelle Atomos et, prenant pour référence la plus petite composante de la matière, il questionne la nature du corps et la manière de se mouvoir.

« Wayne nous a expliqué que c’était une oeuvre de 70 minutes pour de la danse. Et que si on voulait tenir les gens en haleine, on devait créer un voyage. L’attention des gens se dissipant généralement après une vingtaine de minutes, il fallait faire en sorte qu’ils restent avec nous. Avec la musique, la danse, les lumières… »

Adam disait il y a quelques années qu’il évitait de sortir des disques sur lesquels il ne pouvait pas s’endormir. « C’est possible avec celui-ci aussi« , affirme-t-il. « D’ailleurs j’ai repéré quelques personnes dans le théâtre qui piquaient du nez« , rigole Dustin.

Les deux hommes ont enregistré pendant l’été 2013 à Bruxelles, Berlin mais aussi en Islande, dans la beauté apaisée de Reykjavik, où est installé leur pote Ben Frost. « Il a une oreille incroyable. Il aimait beaucoup les enregistrements et tenait à nous aider. En plus, il avait bossé sur la pièce précédente de Wayne. Les touches électroniques sont arrivées assez vite dans notre esprit. Parce qu’on s’est dit que le spectacle aurait besoin d’un peu de mouvement. Qu’il souhaiterait que davantage de choses se passent. Ça vient sans doute de notre insécurité et en même temps, ça nous a poussés vers quelque chose de différent. Il y a des textures et des sons qu’on n’entendait pas sur notre premier album. »

Visant le calme et la patience en cette ère du temps compté et de la course toujours plus rapide contre la montre, A Winged Victory for the Sullen reste en rupture avec son époque. Et c’est sans doute ce qui le rend si intéressant voire indispensable. « On vit dans un monde dirigé par l’urgence et la saturation d’informations, notamment publicitaires, conclut Dustin. Nous sommes constamment sollicités. Nous ne lâchons plus nos ordinateurs et nos téléphones portables. Alors, quand j’ai un moment pour écouter de la musique, je veux qu’elle me laisse de l’espace. Et parallèlement, d’un point de vue créatif, je veux donner à l’auditeur la possibilité de respirer à l’intérieur de nos morceaux. » Besoin d’air? L’année prochaine, Adam sera le curateur du dernier Silence is Sexy à l’Ancienne Belgique.

ATOMOS, DISTRIBUÉ PAR ERASED TAPES/KONKURRENT.

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EN CONCERT LE 25/10 AU ROMA (ANVERS), LE 21/11 AU CACTUS (BRUGES) DANS LE CADRE DU FESTIVAL AUTUMN FALLS.

TEXTE Julien Broquet

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