C’est un peu le monstre du Loch Ness des sentiments. Tout le monde en parle mais personne ne l’a jamais vraiment croisé. Hormis bien sûr les frimeurs, les imbéciles, les illuminés et tous ceux qui affirment haut et fort nager dedans. Mais leur témoignage est suspect, il sent le catéchisme, la propagande ou le slogan synthétique. Car il ne suffit pas de croire au bonheur pour le faire exister. Son ombre épouse les névroses de l’époque: frime, fric et narcoleptiques dans les années 80, thérapies douces, bric-à-brac spirituel et encens la décennie suivante. Les deux faces de la même médaille en somme. Après le 11 septembre, on a cru que le bonheur s’était fait la malle une bonne fois pour toute, avant de revenir nous titiller sur un sujet sensible: le portefeuille. Par un tour de bling-bling, on nous a de nouveau persuadés que l’argent rendait heureux. Excès, spéculations à haut risque, bonus vertigineux, bulle XXL, produits toxiques et, en apothéose, crash bancaire… Au marché du bonheur, le cours de l’action est du coup passé au vert. Car même si rien ne garantit que le bonheur durable est dans le pré, chacun sent bien que la route ultralibérale ne conduit nulle part, sinon au suicide collectif. Un changement de cap qui excite les papilles, redonne de l’espoir. Un peu comme chaque fois qu’on remplit son bulletin de Lotto, on ne peut s’empêcher d’espérer que cette fois-ci c’est la bonne. Et tant pis si la probabilité de gagner n’a pas varié d’un pouce depuis la dernière fois. On pourrait aussi laisser tomber, faire son deuil du bonheur, mais c’est plus fort que nous, la came du bonheur démange l’esprit comme Dieu démange le croyant. C’est devenu la clé de voûte d’une vie réussie. Au moment d’écrire ces lignes, le mot « bonheur » est apparu 6 340 fois en une heure à peine sur Google Actualités… Si ce n’est pas de l’obsession ça? Chacun veut sa part du gâteau. Même les grands de ce monde (enfin, façon de parler) en font leur cheval de bataille. Sarkozy a ainsi rameuté la fine fleur des économistes, le prix Nobel Joseph Stiglitz en tête, pour updater ses connaissances sur le sujet. Résultat des cogitations des 25 sherpas: il faut changer la grille de lecture, sortir de la tyrannie des chiffres économiques. Bravo pour la clairvoyance! Etaient-ils aveugles à ce point pour ne pas se rendre compte que le PIB, le PNB et autres indices poétiques ne disaient rien de l’état de santé mental d’une société. Et encore moins du niveau de bien-être. Quelqu’un pourrait leur dire que les instruments pour sonder le moral des troupes existent depuis perpète ou presque: ils s’appellent cinéma, musique, peinture, bande dessinée…

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tous les jeudis à 8h45, sur

Par Laurent Raphaël

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