Au gré d’une filmographie imparable, de A Hard Day’s Night à Yellow Submarine, les Beatles ont évolué de la comédie british vers le psychédélisme débridé. Arrêt sur images…

Tout commence par une scène d’hystérie collective. Coursés par des fans déchaîné(e)s, les Beatles embarquent à bord d’un train, pour retrouver la même cohue à leur arrivée. Le début d’une folle journée, celle qui alimente le scénario de A Hard Day’s Night, soit 24 heures dans la vie trépidante des Fab Four. Nous sommes en 1964, et la Beatlemania bat son plein. Il y a là, à l’évidence, un filon cinématographique à exploiter, opportunité qui n’échappe pas à un duo de producteurs avisés, Walter Shenson et Denis O’Dell, pressés de monter un projet autour du groupe de Liverpool.

Le procédé n’a rien d’exceptionnel à l’époque – il suffit de penser à Elvis Presley qui, depuis Love Me Tender, en 1956, s’est multiplié dans quantité de longs métrages à destination privilégiée du public teenager. La réalisation du film est confiée à un jeune cinéaste, Richard Lester. Américain, ce dernier est en charge d’un programme comique de la BBC, The Goon Show, dont la vedette n’est autre que Peter Sellers – un argument à même d’emporter l’adhésion de Lennon.

De fait, il plane sur A Hard Day’s Night, un film dont le scénario conduit au terme de moult détours le spectateur dans les coulisses d’un concert télévisé des Beatles, un délicieux parfum de comédie british où le nonsense fait mieux que se frayer un chemin. Les situations absurdes se multiplient, nourries par la personnalité facétieuse du grand-père présumé de McCartney (l’épatant Wilfrid Brambell), mais encore l’humour à froid de Ringo Starr – avec, notamment, cette réplique restée fameuse, lorsque, à une journaliste lui demandant s’il est un mod ou un rocker, il répond « I’m a Mocker ». Le titre original du film – littéralement « La nuit d’une dure journée » -, n’est autre, d’ailleurs, que l’un de ces « ringoïsmes » savoureux dont le batteur avait le secret; à quoi les diffuseurs français préféreront un Quatre garçons dans le vent n’ayant guère à lui envier. A Hard Day’s Night fait un triomphe, et demeure le témoignage fulgurant d’une époque en même temps que celui de la ferveur qui encadrait alors le groupe. Non sans être armé de chansons imparables, de Can’t Buy Me Love à She Loves You. La fièvre n’étant pas retombée, la même équipe enchaîne, un an plus tard, avec Help!, en couleurs cette fois. Alors que A Hard Day’s Night avait une dimension quasi documentaire, ce second film fait le pari de l’aventure débridée, sous humeur à nouveau hautement enjouée. Si le groupe y tient la vedette, Ringo, par son esprit, en est, plus encore que Lennon, la star à l’écran (1). C’est lui aussi qui, ayant imprudemment passé à son doigt une bague se révélant être un anneau sacrificiel, vaut aux Beatles d’être pourchassés par le grand prêtre d’une secte indienne et ses sbires adorateurs de Kaili; un pitch qui les conduira de Londres aux Bahamas en passant par les Alpes. L’humour est ravageur (et annonce celui des Monty Python), Lester déploie des trésors d’inventivité, les répliques fusent et les gags pullulent – celui de la maison au séjour unique auquel on accède par 4 portes de rue différentes sera repris par Emmanuel Mouret dans Fais-moi plaisir!. Au-delà du simple « Beatlesfilm » (avec ses séquences musicales d’anthologie, comme Ticket to Ride dans la neige, ou You’ve Got to Hide Away dans leur demeure au design inouï), Help! est un sommet de la comédie britannique, un authentique chef-d’£uvre ayant su, lui aussi, restituer à merveille l’esprit d’une époque.

Etincelles psychédéliques

Richard Lester, qui avait entre-temps obtenu la Palme d’or à Cannes pour The Knack and How to Get It, se consacrera ensuite à d’autres aventures cinématographiques, qui le conduiront de Trois mousquetaires en Superman. Non sans avoir retrouvé John Lennon, le temps d’un rôle dans How I Won the War. Nous sommes alors en 1967, et les Beatles n’ont laissé à personne d’autre le soin de réaliser Magical Mystery Tour, moyen métrage qu’ils tournent pour la BBC. Enfonçant le clou d’un psychédélisme débridé, les Fab Four y embarquent avec quelques quidams à bord d’un bus pour un voyage fantastique. Quelque 40 ans plus tard, l’impression d’ensemble tient surtout en un solide foutoir sous influence, délire guère contrôlé traversé de chansons d’anthologie – I’m the Walrus, The Fool on the Hill, et on en passe…

Plus fondamental, Yellow Submarine, réalisé par le Canadien George Dunning en 1968, fusionne l’univers des Beatles et le monde de l’animation. La rencontre produit de psychédéliques et avant-gardistes étincelles – celles d’un film d’une exceptionnelle richesse visuelle célébrant le règne de l’imagination. Non sans permettre au passage à John, Paul, George et Ringo, embarqués à bord du sous-marin jaune à destination de Pepperland, de contrecarrer les sombres desseins des Blue Meanies, tristes sires s’employant à sevrer le monde de musique – un comble, qui nous eût privé de Nowhere Man et Hey Bulldog, quelques-unes des pépites émaillant ce bijou dont l’esthétique semble, à l’instar de leurs chansons, défier le temps…

(1) Ringo fut celui des 4 Beatles qui tenta le plus durablement de prolonger l’expérience cinématographique, figurant notamment au générique de Caveman, en 1981, et comptant encore parmi les invités du Bifff…

Texte Jean-François Pluijgers

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