Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Trésor caché – Enfin! L’album perdu de Q-Tip ressort du placard, 8 ans après la date initialement prévue. Où le rappeur étend le hip hop aux frontières du jazz. Brillant.

« Kamaal The Abstract »

Distribué par Battery Records.

On ne louera jamais assez les mérites de The Renaissance. Sorti l’an dernier, le disque reste une des meilleures plaques rap de 2008. Sinon de la décennie – pas besoin de tourner autour du pot. Il signait le grand retour deQ-Tip, après quasi 10 ans de silence discographique. En fait, depuis Amplifier, sorti en 99, premier album en solo du leader d’A Tribe Called Quest, l’une des formations les plus novatrices et élégantes qu’ait connue le hip hop. Du coup, Q-Tip est même reparti en tournée dans la foulée, pour une série de concerts épatants (ceux qui étaient à l’Ancienne Belgique ou aux Ardentes pourront en témoigner).

Mais il y a mieux encore. Le succès de The Renaissance a connu en effet un autre effet collatéral, plus inattendu. Il a ainsi permis de ressortir des armoires les bandes de Kamaal The Abstract. On pensait la cause perdue. Voilà pourtant que sort enfin officiellement le disque qui était censé suivre directement Amplifier. C’était en 2001. A l’époque, des exemplaires promo avaient même été envoyés à la presse. Seulement voilà: les voies de l’industrie du disque restent par moments impénétrables. Trop expérimental, pas assez de potentiel commercial, juge alors la nouvelle tête du label Arista. Et l’album d’être reporté à l’année suivante, avant de disparaître complètement des plannings de sortie…

8 ans plus tard, on peut enfin juger sur pièce. Et se questionner: comment expliquer qu’un tel album ait passé autant de temps au purgatoire? Trop expérimental, Kamaal The Abstract? Q-Tip essaie ici en effet des choses, cherche, part à l’aventure. Bref, suit une démarche artistique. Etonnant, non?

Fines gâchettes

Début 2000, Q-Tip se lance en fait dans une fusion entre hip hop et jazz. Ce n’est pas nouveau: le jazz a toujours transpiré dans la musique d’A Tribe Called Quest. Q-Tip pousse cependant ici les choses un peu plus loin, en s’entourant d’un vrai groupe. Dont de fines gachettes, tels Gary Thomas, Kenny Garrett (tous les deux ont notamment joué aux côtés de Miles Davis) ou le guitariste Kurt Rosenwinkel. L’influence, sinon le repère, en tout cas le phare, c’est justement le Bitches Brew de Miles Davis. Chef-d’£uvre sorti en 1970 qui voyait le maestro brouiller les pistes entre jazz, funk, soul, et même rock. Avec Kamaal The Abstract, Q-Tip ne veut donc rien s’interdire, chantant souvent plus qu’il ne rappe, laissant de la place pour tel solo de flute ( Do You Dig U?) ou de piano. Et d’invoquer en effet aussi bien les grisements de la note bleue, que ceux plus funk de Prince ( Heels) ou soul à la Stevie Wonder ( Caring).

La fusion a souvent donné le meilleur et le pire. Ici, la force du projet est de rester en terrain connu, le hip hop, pour mieux l’étendre. Aussi audacieuse soit la démarche, l’amateur ne sera ainsi jamais dépaysé. En fait, comme le son de la trompette de Miles Davis restait reconnaissable peu importe la direction prise, le hip hop de Q-Tip colle au bonhomme, quels que soient les détours empruntés. Un vrai tour de force. C’est ce qu’on doit appeler le charisme.

Laurent Hoebrechts

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