Avec son nouvel album, Growing Pains, Mary J. Blige continue à panser ses plaies. Rencontre exclusive avec une diva soul.

Londres, il y a une semaine. La ville s’agite tout en se faisant copieusement doucher. Le Sun s’apprête à publier les photos d’Amy Winehouse en train de fumer du crack. Rien d’anormal en somme… Pendant ce temps, dans un hôtel ultrachic, en lisière de Hyde Park, Mary J. Blige reçoit la presse étrangère. La diva r’n’b est enfoncée dans son divan, sous-pull et pantalon carmin, un verre de Red Bull posé sur la table.  » Son disque est super« , glisse la reine du hip-hop soul (appellation officielle) à propos de Winehouse. Elle le dit presque en s’excusant, lucide sur les parallèles évidents entre les affres de la jeune Anglaise et le chaos qu’elle-même a longtemps traversé. En 2001, Blige chantait No More Drama, et ce fut un tube. C’est aussi plus ou moins à cette époque-là qu’elle tire un trait sur un passé tumultueux. Pourtant, aujourd’hui encore, quand elle sort un huitième album, elle l’intitule Growing Pains.

Ce n’est peut-être pas le plus décisif: son précédent, The Breakthrough, avec notamment la reprise de One de – et avec – U2, lui a fait franchir plus clairement un nouveau cap. N’empêche: Growing Pains contient au moins deux hits en puissance: Just Fine et Work That. Quand il ne fascine pas tout simplement par cette collision permanente entre la production clinique, millimétrée, et la voix toujours soul, jamais technique. Inévitable quand il s’agit de se livrer, exercice qui est devenu sa marque, voire son fond de commerce?  » J’ai toujours évoqué des choses très personnelles tout au long de ma carrière. Pourquoi arrêterais-je maintenant?, interroge-t-elle . Je le fais pour ceux qui m’écoutent mais aussi pour moi. Cela me sert de thérapie. Et puis, c’est quelque chose de très facile à faire. Je ne dois pas me battre avec ça. It is what it is. Je n’ai qu’à me baisser pour le ramasser.  »

En se penchant, que trouve donc Mary J. Blige, née en janvier 1971 dans le Bronx, élevée dans les HLM de Yonkers? Un père qui quitte le foyer alors qu’elle n’a que 4 ans. Des abus sexuels subis à l’âge de cinq. Une étincelle quand même: un jour, au centre commercial du coin, dans une machine à karaoké, elle enregistre un titre d’Anita Baker. La cassette atterrit dans les mains d’un représentant d’Uptown Records. Banco. Mary J. Blige signe un contrat, sort un disque et commence à collectionner les premiers hits. En 1997, quand sort son troisième album, Share My World, elle en vendra plus de cinq millions d’exemplaires. Mais ses différentes liaisons amoureuses sont houleuses. Blige fume aussi pas mal, souvent de l’herbe. On lui prête également aujourd’hui l’utilisation de stéroïdes illégaux. Ce qu’elle nie. Elle n’a, par contre, jamais vraiment caché sa consommation de cocaïne. A l’époque, c’est même le cercle vicieux: pour se calmer, elle commence à boire. En 1999, sa tournée est sponsorisée par Seagram, entreprise de spiritueux en tous genres…

C’est un des tournants. L’autre, c’est la rencontre avec le producteur Kendu Isaacs, qui deviendra son manager et mari. Il la mettra devant un ultimatum: boire ou chanter, il lui faut choisir. Blige évitera ainsi une trajectoire à la Whitney Houston. Même si les blessures sont toujours là, qui l’ont inévitablement endurcie. A propos du titre Growing Pains, instinctivement, on traduit:  » les peines qui grandissent« . Elle rectifie:  » Je parle au contraire des épreuves qui font grandir. C’est dans les moments difficiles que vous apprenez le plus. Quand vous êtes obligé de monter le niveau. Vous n’avez plus de boulot? Vous allez vous remuer les fesses pour en retrouver un, et vous sortir de là. Et au bout du compte, vous en ressortirez meilleur, plus fort. De toute façon, si vous ne grandissez pas, vous mourez, comme un arbre meurt s’il ne pousse pas. Ce titre, c’est une célébration de ça, du fait de grandir. Mais en étant honnête, et en disant que cela peut être douloureux.  »

On aurait proposé à Mary J. Blige d’incarner Nina Simone dans le projet de biopic consacré à l’immense chanteuse de jazz. Pas étonnant: on retrouve un semblable air de défiance. Même quand la chanteuse laisse s’échapper un rire, son visage reste impassible. Ce n’est pas forcément de l’animosité. Juste le regard indifférent de ceux qui ont dû se forger une carapace face aux coups et aux désillusions.  » Même quand on est matériellement plus à l’aise, cela n’est pas toujours rose, poursuit-elle . C’est même plus compliqué de savoir qui veut quoi, quelles sont les intentions réelles des gens que vous rencontrez. Du coup, vous vous retrouvez seule. De ce point de vue-là, je crois être ma meilleure amie. Ou en tous cas, j’essaie de l’être… »

BLING BLING

Elle en est là, Mary. Mais elle se soigne. Un Work in Progress, comme l’indique un des morceaux de l’album. L’amour, par exemple? Une raison de vivre, mais aussi une excuse pour mourir, insiste un autre titre ( What Love Is).  » Ce n’est pas honnête de parler d’amour et de ne pas expliquer ce qui le fait durer: soit les difficultés et la manière de les résoudre. Le couple, ce n’est pas Disneyland. C’est du boulot, pas un état béat. » Et à ce sujet, Mary a des conseils à donner. Dans Feel Like A Woman, elle chante:  » Quand tu repars à la maison, arrête-toi en chemin pour m’acheter quelque chose, un sac, des chaussures…  » Bling, quand votre c£ur fait bling…  » C’est comme ça!, rigole-t-elle. Cela fait aussi partie de moi. Il y a des tas de femmes qui bossent et élèvent leurs enfants seules. Alors quand un homme arrive finalement dans leur vie, elles ont juste envie de souffler un coup, de s’effondrer dans le fauteuil et qu’on s’occupe d’elles. »

Pour le coup, elle y est d’ailleurs dans le divan. Mais même dans celui de la suite d’un palace londonien, les logements sociaux défoncés de son ancien quartier ne semblent jamais très loin. Peu importe qu’il y ait toujours quelqu’un à ses côtés pour lui servir un verre, ou que la garde-robe qu’elle a emmenée avec elle pour sa semaine européenne de promo soit bien fournie. On se met d’ailleurs à imaginer que, comme Pascal, la chanteuse a cousu dans la doublure de son manteau fétiche le billet sur lequel sont écrits les mots qui la guident au quotidien. Quels seraient-ils? Dans un de ses rares sourires, elle glisse alors:  » Cultive la patience. Tous les jours. Et avec tout le monde.. . »

u Growing Pains, CD chez Universel. u www.mjblige.com

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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