ANTONIONI, LE GRAND CINÉASTE ITALIEN,FERA L’ÉVÉNEMENT CET ÉTÉ À BRUXELLES. DOMINIQUE PAÏNI, COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION AU BOZAR, REVIENT SUR UN ARTISTE QUI MARQUE SON TEMPS.

L’été 2013 restera marqué, à Bruxelles, par les nombreuses propositions déclinant l’oeuvre et la vie de Michelangelo Antonioni, sa trajectoire d’homme et d’artiste, au fil de manifestations dressant un tableau complet, qu’enrichit encore la présence aux cimaises du Palais des Beaux-Arts de l’exposition (déjà commencée) consacrée à Giorgio Morandi, peintre important qui fut l’ami du cinéaste et dont le travail n’est pas étranger à celui mené par le réalisateur de L’Avventura, de L’Eclipse et de Blow Up. Une vaste rétrospective à la Cinematek et une exposition au Bozar constituant les clous de l’été antonionien dans notre capitale. Avec en plus un cycle à Flagey, et des décentralisations menées aussi par la Cinematek à Mons et à Liège! Dominique Païni est le commissaire de l’expo, qu’il a initialement présentée à Ravenne. L’ex-directeur de la Cinémathèque Française, érudit passionné autant que passionnant, a puisé dans des archives riches de 47 000 pièces (!) répertoriées par l’ami d’Antonioni Carlo di Carlo pour composer un ensemble éloquent, éclairant, surprenant parfois, autour de celui qu’on présente à juste titre comme un des inventeurs du cinéma moderne.

« Tout avait débuté par un scandale, se souvient Païni. L’Avventura, scandale narratif, et puis L’Eclipse, pour ne rien arranger! » Antonioni a entamé, avec « un cinéma d’une grande gravité« , le chemin menant à un cinéma moderne affranchi des règles et conventions du cinéma classique. « Il passe aussi ces années 60 à sortir de Visconti« , poursuit le responsable de l’exposition où des exemples de correspondance entre les deux cinéastes attestent cette emprise dont le cadet va se libérer pour inventer son propre langage, « avec l’apport décisif d’une actrice, Monica Vitti, une actrice et une femme elle-même moderne, totalement contemporaine, qui va inspirer de manière décisive le créateur sensuel, amoureux de la féminité, qu’était Antonioni« . Et Païni de citer l’incontournable L’Eclipse de 1962, avec Delon et Vitti, « avec ses images désenchaînées, son caractère visionnaire -il y est question de la haute finance, d’un Jérôme Kerviel avant la lettre, de la crise qui s’annonce, de la chute de la politique… Le tout avec ces plans superbes qu’on a dit vides et qui sont pleins, en fait! »

Un cinéaste pour artistes

S’il fut prénommé Michelangelo, prénom évoquant la Renaissance, Antonioni dut s’affranchir de l’éternel retour de cette dernière dans un cinéma italien « qui regarde en arrière, globalement et irrémédiablement tourné vers le passé« , pour aller voir plus loin, en Italie d’abord, puis en Angleterre (Blow-Up) et aux Etats-Unis (Zabriskie Point), pour filmer ce que Païni place « au centre de la réflexion du cinéaste: l’effondrement de l’humanisme« . Un constat qui lui fait dire, à propos de « l’artiste symétrique, géométrique« , qu’est le réalisateur de Profession: reporter, que plus que moderne il reste « éminemment contemporain« , ce qu’il voyait venir dans ses films étant en train de se produire manifestement sous nos yeux… « Antonioni, poursuit notre interlocuteur, est un cinéaste pour artistes, le plus théorique sans doute… et en même temps le plus sentimental, lui qui aimait tant les femmes. Pas les putains comme Fellini, pas les cantatrices comme Visconti, pas les mères comme Pasolini. Les femmes, tout simplement! » « L’oeuvre d’Antonioni, c’est LA grande oeuvre critique du contemporain, au mitan du siècle. Il occupe la place qu’occupait Piero della Francesca à la Renaissance italienne. Ce n’est pas par hasard si dans Le Désert rouge il y a cette grande scène où Monica Vitti tient un oeuf dans la main, un hommage direct au retable de Brera, de Piero della Francesca, où la Vierge est surmontée d’un oeuf. Un tableau qui présente le monde comme une énigme, comme l’énigme du monde contemporain que questionne Antonioni… »

Le commissaire de l’exposition viendra présenter Le Amiche en version restaurée, le 28/08 au Bozar. Ce n’est pas l’Antonioni préféré de Dominique Païni, mais gageons que son introduction sera des plus passionnantes. Peut-être y évoquera-t-il ce paradoxe qui place les héritiers d’Antonioni loin de son Italie et même de l’Europe, « du côté de l’Amérique avec un Julian Schnabel (qui ouvrit sa rétrospective à la Biennale de Venise 2011 par un tableau intitulé Hommage à Antonioni), un Vincent Gallo (son formidable Brown Bunny en témoigne), et surtout de l’Asie avec Wong Kar-wai et de nombreux Japonais, Chinois, Coréens se réclamant de lui! Et pas seulement des réalisateurs, des écrivains, aussi! Alors que chez lui, il reste un mal-aimé… »

EXPOSITION MICHELANGELO ANTONIONI – IL MAESTRO DI CINEMA MODERNO AU BOZAR, DU 22/06 AU 08/09.

EXPOSITION GIORGIO MORANDI AU BOZAR, JUSQU’AU 22/09. WWW.BOZAR.BE

CYCLE ANTONIONI À LA CINEMATEK ET À FLAGEY, DU 01/07 AU 30/08. WWW.CINEMATEK.BE, WWW.FLAGEY.BE.

CYCLE ANTONIONI EN DÉCENTRALISATION, À MONS EN AOÛT, À LIÈGE EN SEPTEMBRE. WWW.CINEMATEK.BE.

TEXTE LOUIS DANVERS

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