Acteurs de l’ombre, les traducteurs font plus que repasser les plats. Ils les réinventent. Et quand ils coiffent comme Claro la toque des grands chefs de la littérature, l’exercice tourne à la haute voltige.

Romancier ( Madman Bovary), directeur de la collection Lot49 et bloggeur littéraire ( Le clavier cannibale), Claro est surtout la « voix » française des auteurs ingérables-intraduisibles-illimités que sont William T. Vollmann, William H. Gass, Mark Z. Danielewski ou encore Thomas Pynchon. Rencontre avec un homme qui aime battre le pavé…

Vous êtes principalement penché vers la littérature américaine, qu’allez-vous y chercher?

Mon intérêt ne vient pas d’une fascination particulière pour la culture américaine. Quand j’ai découvert la littérature US, j’y ai trouvé des affinités avec mon travail d’écrivain, dans lequel j’essaie d’expérimenter la langue. Il y a une bonne frange d’auteurs américains qui essaient des trucs depuis les années 60, de façon ludique et décomplexée, sans être forcément placés dans un ghetto  » avant-gardiste ou laboratoire », comme c’est le cas en France… Selon moi, toute littérature devrait être expérimentation. Si on n’expérimente rien, on fait quoi, on déroule juste un tapis? Ça n’a pas grand intérêt…

D’où vient cette différence de dynamique avec la littérature française?

En France, on est dans une tradition de style, dans cette idée de la belle phrase française, avec un poids grammatical et syntaxique; alors que l’américain, c’est une langue qui a beaucoup bougé, qui s’est construite en se décalant de l’anglais, avec des apports de tas de langues, un argotique et une graphie qui évoluent encore énormément. C’est une langue beaucoup plus musclée, dynamique et qui travaille beaucoup plus dans la vitesse.

Vous êtes convaincu que les traductions peuvent apporter à la littérature française ce qui lui fait défaut…

Je crois qu’il faut savoir pourquoi on veut traduire. Moi, je le fais pour fabriquer une autre littérature française à l’intérieur de la littérature française: à long terme, la littérature traduite va influer sur la littérature en général et sur les futurs auteurs qui auront pu lire Vollmann ou Pynchon. A une époque, la découverte en France d’auteurs comme Hemingway ou Faulkner a vraiment changé les choses.

Cette influence marche-t-elle dans l’autre sens, de la francophonie vers les USA?

En France, on traduit énormément: 60 % des livres de fiction sont des livres traduits. Sur ces 60 %, il y a 40 % d’anglo-saxons, ce qui est énorme. Aux USA, la part de traductions a décliné. Aujourd’hui, sur la masse de production, la fiction étrangère traduite ne représente plus que 3 %. C’est inquiétant, quand on sait que la richesse d’une culture vient de la manière dont elle se nourrit des autres cultures… D’ailleurs, les écrivains américains qui font des choses incroyables aujourd’hui sont tous de grands lecteurs de littérature étrangère. Je parlais avec William Gass, par exemple, qui me disait que son dieu, c’est Flaubert.

Vous co-dirigez depuis quelques années la collection Lot49 au Cherche Midi, c’était dans la continuité de votre rôle de défricheur?

Il y avait plein de livres que j’avais envie de faire publier, de traduire. Il fallait donc constamment démarcher des maisons. J’ai parfois perdu 5 ans à tenter de convaincre des éditeurs, comme pour Vollmann. En créant la collection Lot49, on a décidé de ne pas se fixer de questions d’actualité. On a fait un Richard Powers ( Trois fermiers s’en vont au bal, en 2004), on en a vendu 30 000 exemplaires alors que le bouquin avait 25 ans. Ça rappelle quand même une chose: la littérature n’est pas un produit périssable. Heureusement qu’un bouquin qui a 25 ans tient encore debout…

Vous aimez dire qu’un traducteur relève plus du faussaire que du passeur…

Le traducteur fait un faux parce qu’il fait une autre £uvre, complètement différente. C’est un travail étrange, de destruction et de recréation. La plupart des lecteurs n’y pensent jamais. Ils ne peuvent pas imaginer qu’on peut faire 5 versions différentes d’un même texte. Ça peut être vertigineux et inquiétant de se demander « qu’est-ce que je lis? ». Pour moi, on lit un instant du livre: il a voyagé, il se pose là, il devient autre chose. Il pourrait prendre une autre forme. La traduction, c’est quelque chose qui recrée, qui redémarre…

Ça reste un rôle ingrat?

Dans un livre traduit, tout se passe comme si l’auteur étranger était la mère, l’éditeur français, le père, et qu’ensemble ils avaient fait un enfant: le livre. Le traducteur, là-dedans, ça serait l’amant, celui qui est dans le placard et dont on n’a pas envie de parler. Il y a cette collection qui me fait marrer, chez Albin Michel, qui s’appelle Les Grandes Traductions et qui ne met jamais le nom du traducteur en couverture…

Rencontre Ysaline Parisis

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