Pearl Jam et Alice in chains sortent un nouvel album. Mais que reste-t-il au juste des chemises de bûcheron, des guitares crades, des voix éraillées et des mycoses entre les orteils?

Amsterdam. Le 12 août dernier. Il y a autant de chevelus sur scène que dans la salle. Le Melkweg n’en est pas moins plein à craquer. Alice in chains est dans la place et, hasard du calendrier rock’n’roll, Pearl Jam se produit le lendemain à Rotterdam. Nous aurait-on menti? Le grunge aurait-il survécu à la mort de Kurt Cobain, le 5 avril 1994?

Le rock aux longs cheveux sales, pesant et dépressif, associé au nord-ouest des Etats-Unis, et plus particulièrement à Seattle, la ville des nuits blanches, semblait tombé en désuétude. En ce début d’automne, Alice in chains sort de sa torpeur et de sa douleur pour défendre son premier album depuis le décès de Layne Staley, son chanteur, victime d’une overdose de cocaïne et d’héroïne en avril 2002. Même si son batteur Sean Kinney réfute l’appellation et l’a toujours rejetée, pour certains de ses fans, Alice in chains, marqué par son introspection morbide, est le plus grunge des groupes qui soit. « C’est le grunge des origines. Son essence en quelque sorte », commente l’un. « Rien à voir avec ces lopettes de Pearl Jam », attaque l’autre.

Les prémices du grunge, miroir de la fameuse génération X(1), ce sont les Melvins et Mudhoney qui décident de fusionner le heavy metal et le punk. Malgré un son caractéristique, brut, dépouillé, à base de guitares saturées, la descendance sera éclatée. N’empêche. Les musiciens de Seattle ont toujours constitué une véritable communauté. « Seattle a enfanté beaucoup de gamins talentueux mais le marché n’a jamais été aussi concurrentiel qu’à Los Angeles, raconte Kinney. Tout le monde rêve de se faire entendre, de vendre des disques mais nous n’avions pas de mecs du business qui traînaient à tous les coins de la rue. Nous nous soutenions vraiment les uns les autres. Nous sommes amis. Nous l’avons toujours été. »

Au début des années 90, Alice in chains a par exemple enregistré un titre, Right Turn, avec Mark Arm (Mudhoney) et Chris Cornell (Soundgarden) sous le nom d’Alice Mudgarden. En 1994, Staley a même fait partie du groupe Mad Season avec le guitariste de Pearl Jam. Quand un grunge est dans le coin, un autre n’est jamais bien loin. Alice in chains a d’ailleurs enregistré une partie de son nouvel album dans le studio de Dave Grohl. « Layne, Kurt… Quand je regarde derrière moi, je ne peux que pleurer le gâchis, avoue Kinney. Ados, on ne voyait que le rêve. Pas le cauchemar. »

L’ombre de Mudhoney

Le mot grunge, qui désigne les champignons entre les doigts de pied, a été choisi parce que les musiciens de Seattle s’habillaient comme des clodos et parce que le son de leurs guitares se voulait particulièrement dégueulasse. En attendant, le grunge, dans le fond, c’est un mal-être profond. Une absence de repères dans une société qui fout le camp. C’est la rage et le désespoir. Les drogues souvent. Et la mort parfois. C’est un label indépendant, Sub Pop, qui a, sans exception, aidé à démarrer tous les groupes dont on a parlé jusqu’ici. Et une ville pluvieuse, Seattle, qu’on n’a eu de cesse de nous raconter.

 » Nous y sommes profondément liés et nous parlons dans nos chansons de ce que nous connaissons, reprend le batteur d’Alice in chains . Certains peuvent critiquer. Nous ne jouons pas la comédie. Notre ami est mort. Nous ne l’inventons pas. Il s’agit de notre vie. Evidemment, elle est difficile à accepter. Nous avons mis du temps à le digérer, à pouvoir en parler. Ce n’est jamais OK mais il faut continuer à avancer. Avec dignité et respect. Vous pouvez voir nos comptes en banque. Nous n’avions pas besoin d’argent. Aucun d’entre nous n’est ruiné.  »

L’esprit semble en effet être resté intact. Comme la fougue qui habite Pearl Jam. « Un des derniers groupes qui essaient de faire réfléchir, défend un fan italien faisant le pied de grue devant l’hôtel du band à Rotterdam. Je ne pense pas qu’il puisse changer le monde mais il essaie. » Le bonhomme a vu les Américains 9 fois. La première remonte à 1996. Il a parcouru tous les gîtes luxueux de la ville pour savoir où logent Eddie Vedder et les siens. « Pearl Jam m’intéresse davantage que le grunge. Pearl Jam représente plus que ça. »

Si Soundgarden a déposé les armes en 1997, PJ n’a jamais lâché l’affaire. Il n’a jamais non plus fait face au désintérêt comme Mudhoney dont un nouvel album est à nouveau sorti dans l’anonymat l’an dernier. Pearl Jam a beau tourner musicalement en rond, il a encore été élu  » Greatest American rock band ever » par les lecteurs du USA Today en 2005. Sans doute parce qu’il a toujours ouvert sa gueule. Que ce soit pour mordre George W Bush ou défendre des causes humanitaires. Les paroles de son 9e album studio, Backspacer, sont plus positives et moins politiques que d’accoutumée mais Eddie ne peut s’empêcher de présenter l’élection d’Obama comme source de cet optimisme.

Le culte cobainien

En 2006, le magazine américain Forbes plaçait Kurt Cobain à la tête des célébrités défuntes les plus rentables. Les recettes de sa veuve, Courtney Love, s’élevant cette année-là à 50 millions de dollars. Un joli petit butin. Quelque temps après que la givrée a annoncé s’être fait voler les cendres de sa moitié, l’artiste australienne Natascha Stellmach a exposé à la galerie Wagner + Partner de Berlin un joint soi-disant roulé avec les restes du leader de Nirvana. Une provocation qui renvoie au culte démesuré de l’objet cobainien.

Au départ, le look grunge était le fait des musiciens pauvres de la ville. Fauchés au point qu’ils doivent s’approvisionner dans des dépôts ventes. S’habiller de chemises de bûcherons déjà portées et de jeans usés jusqu’à la trame. En 2008, Converse a lancé une série de chaussures avec pour imprimés des dessins et écrits extraits du journal intime de Cobain. Tout fout le camp.

Produit d’une époque, le grunge, dernier grand mouvement musical de masse, s’écoute encore mais ne vit plus vraiment. Musique de crise, il se cherche en vain des héritiers. Les temps semblent propices mais il est en fait encore un peu tôt pour une renaissance. Bien sûr, au milieu des années 90, quand le mouvement s’est essoufflé, se sont mis à fleurir aux 4 coins du monde de nouveaux groupes insignifiants comme Bush, Silverchair, Stiltskin et Creed. L’étiquette post-grunge, dont on les a toutefois affublés, désigne moins un courant musical qu’un terme générique définissant tous les pompeurs de Nirvana et d’Alice in chains. On en démasque encore dans le néo-métal opportuniste et commercial des piètres Staind, Nickelback et autre 3 Doors Down. Bref. Portes closes. Grunge en berne. Il faudra encore patienter pour retrouver un vrai Teen Spirit.

(1) En référence au livre, publié en 1991, de Douglas Copland qui raconte les errances de trois jeunes sans aspiration ni espoir.

Texte Julien Broquet

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