BOURGMESTRE DE CHARLEROI DEPUIS JANVIER 2013, LE QUADRA PS PAUL MAGNETTE TRANCHE SUR LE PROFIL NON CULTUREL DE SES PRÉDÉCESSEURS. MAIS QUE PEUT FAIRE CE LECTEUR-CINÉPHILE, AFICIONADO DE PASOLINI, POUR LES MÉNINGES ET LE PLAISIR DE SA VILLE?

La première fois que je suis arrivé à Charleroi en 1977, je me suis demandé ce que c’était que cette ville grise, enfumée et d’apparence pauvre. La pollution des usines fermées en moins, le paysage n’a pas vraiment changé…

L’esthétique de Charleroi est brutale et sujet de polémiques mais la ville a une gueule: comme Mickey Rourke, pas franchement beau mais qui dégage quelque chose. Patrick Janssens, l’ex-bourgmestre d’Anvers, m’a dit: « Mieux vaut avoir une mauvaise réputation que pas de réputation du tout. » Et puis la culture se développe toujours dans les lieux de mauvaise réputation, Manhattan dans les années 60, Brooklyn ensuite et aujourd’hui le Queens. Et puis dans les villes de la Ruhr ou Berlin.

« Charleroi, petit Berlin » était le slogan sorti par De Standaarden 2013. La différence est que la capitale allemande, après la chute du mur, a été dopée par de colossaux subsides fédéraux et autres, ce qui n’est pas le cas de Charleroi…

Charleroi, 200 000 habitants, 600 000 pour la métropole, ne peut pas être comparée à de grandes villes: on est davantage Roubaix que Lille. L’avantage de la ville est son espace: un sculpteur flamand assez coté vient d’acheter une ancienne fabrique à Marcinelle. Il y a ici une liberté extraordinaire et on laisse quand même pas mal faire…

Un double leitmotiv revient dans les conversations avec les entrepreneurs culturels: Charleroi est sous-financée et le manque d’argent culturel est la conséquence d’une absence totale d’investissements de vos prédécesseurs qui ont joué la carte du sport…

Charleroi est la mieux aidée des villes par la Région wallonne, mais le fédéral a peu investi. Il y a une discrimination historique et un sous-financement du Hainaut: les affaires carolos ont effrayé les investisseurs et fait perdre dix ans à la ville. Van Cau ne s’intéressait pas à la culture… Namur a son Grand Théâtre, Liège son opéra, Mons l’Orchestre Royal de Chambre et Charleroi, rien de tout cela. Je trouve que chaque grande ville wallonne devrait également avoir son événement culturel et là non plus, on n’en a pas. Culturellement, oui, c’est sous-financé: il n’est pas normal que l’on reçoive moins que Namur et Mons.

Quelle est votre réponse aux opérateurs culturels carolos qui manquent clairement d’argent?

Les projets culturels doivent venir du milieu même: ne me dites pas « je veux des sous », mais amenez-moi des projets (sourire). La diffusion, je m’en fous, c’est la création qui compte. Je connais les difficultés des opérateurs et l’absurdité, par exemple pour le Musée de la Photographie, d’un décret qui l’empêche de vendre des tirages au-delà d’un certain pourcentage des recettes. On en arrive à ce paradoxe que c’est un magasin privé proche du musée qui vend les tirages à son profit. Le directeur Xavier Canonne s’en sort en faisant des ventes aux enchères, ce qui n’est pas interdit. Et je pense que les dimanches gratuits impactent gravement les recettes de lieux comme le Musée de la Photo.

Quid du Rockerill, qui tire la langue dans une structure fascinante, mais qui reste une grande carcasse à demi délabrée?

Le problème c’est qu’ils sont proprios et adorables mais pas très gestionnaires (sourire). Il faut qu’ils se mettent en coopérative. Ceci dit, il n’y a pas en Wallonie une culture architecturale: il faut arrêter les gestes forts genre Gare des Guillemins ou des bâtiments clinquants dont l’entretien coûte des fortunes. À Charleroi, on a nommé un bouwmeester qui n’a pas de pouvoir autre que celui de conseiller les autorités.

Un des projets prometteurs de Charleroi est le futur Quai de l’image: intéressant mais inscrit dans une ville qui ressemble quand même à un chantier permanent, non?

La ville basse est pratiquement finie, on devrait conclure pour fin 2016-milieu 2017, mais il est vrai que la ville haute est partie pour quatre ans de chantiers: on rénove ce qui doit l’être, le Palais des expos, le Centre du design. Le Quai de l’imagequi doit s’ouvrir à l’automne, ce sont cinq salles de cinéma d’art et essai et un gros volet pédagogique: il faut que les enfants soient exposés au meilleur parce que, jeunes, ils ont une formidable capacité à absorber la culture. Je veux que les gosses de Charleroi voient des masses de films, visitent le BPS, le Musée de la Photographie, etc.

Vous dites que chaque année 1000 personnes de la classe moyenne quittent la ville et 1000 personnes socialement moins favorisées y arrivent…

C’est l’un des taux les plus élevés de Belgique. Charleroi est une ville de transit avec 128 nationalités, et cela donne une vitalité extraordinaire, mais on veut que les diplômés, même s’ils vont étudier ailleurs, reviennent ici.

Il y a quelques semaines, vous parliez de Pasolini à la radio (1) et vous sembliez nettement plus inspiré que dans votre discours politique entendu à l’inauguration de Mons 2015…

(sourire) Il y a certainement une forme de self-restraint (sic) dans les discours, y compris culturels. La sémantique politique, vous savez…

(1) PAUL MAGNETTE EST L’AUTEUR DE PASOLINI OU LA RAISON POÉTIQUE SUIVI DE PASOLINI POLITIQUE, L’ARBRE À PAROLES/ESSAIS.

ENTRETIEN Philippe Cornet

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