Conformisme, ringardise, direction d’acteurs inexistante… Les critiques pleuvent depuis des années sur les séries françaises. Justifiées?

Les séries HBO décapent, les feuilletons Showtime défroquent, ABC dépote… La fiction française, elle, déçoit. Depuis quelques années, on la dit en crise. Et la récente suppression de la publicité sur les chaînes publiques fait craindre pour son financement. Si ses audiences ne souffrent pas outre mesure de la déferlante américaine sur nos écrans ( Joséphine Ange Gardien, Julie Lescaut et Cie battent régulièrement des records), son défaut de qualité a été mis en lumière par la comparaison avec ses cousines d’outre-Atlantique. Consensualité, interprétation plate…: la liste de ses tares est longue. Mais identifier la cause de son immobilisme est difficile. Ses producteurs ont beau tenter depuis une dizaine d’années de la sortir de l’ornière, ils se plantent systématiquement.

Derniers flops en date, les tentatives de copiers-collers de feuilletons US.  » Les imitations du genre L’hôpital (Ndlr: Grey’s Anatomy à la française) sont pitoyables, parce que nous n’avons pas les moyens de faire la même chose que les Américains, affirme Marjolaine Boutet, historienne, prof à scien-ces-po et à l’Université d’Amiens et spécialiste des séries télévisées. Et puis, les séries US parlent de la société américaine. Elles en sont un miroir permanent, et sont très critiques par rapport à elles. Les fictions françaises ou belges devraient traiter des réalités du monde dans lequel elles prennent place. Or, chez nous, de tels feuilletons, je n’en ai pas vus beaucoup. Même Clara Sheller est tout à fait fantasmatique: l’héroïne habite dans un appartement décoré par des créateurs, en plein Paris, alors qu’elle ne fait presque rien de ses journées… En France, on a encore l’idée qu’il faut absolument faire rêver les foules. »

Attachement

Marjolaine Boutet (qui a codirigé avec Martin Winckler L’année des séries 2008 et écrit un Les séries pour les nuls qui devrait bientôt sortir) nuance toutefois:  » Il est difficile de comparer les situations française et américaine, non seulement nous n’avons pas leurs moyens de production industrielle, mais nous sommes également en train d’apprendre à manier l’écriture sérielle. Ce qui se multiplie, ce sont les miniséries, en deux, quatre ou six épisodes. Il n’y a donc pas le même phénomène d’attachement que celui qui s’opère autour des séries US… « 

Rare exception dans cet océan de brièveté: Plus belle la vie. Lancée en 2004 sur France 3 (également diffusée sur La Deux), elle a dû travailler le téléspectateur au corps: boudée à ses débuts, la série fait désormais régulièrement peur aux grand-messes info du soir. Un succès jalousé, mais jamais égalé: TF1 a tourné 180 épisodes de Seconde chance, sa Plus belle la vie à elle, mais est loin s’atteindre les mêmes sommets d’audience. « Plus belle la vie s’est donné de la marge de man£uvre pour réagir, explique François Tron, le directeur des programmes à la RTBF, qui occupait jadis la même fonction à France 2. Il y a quatre semaines environ entre le tournage d’un épisode et sa mise à l’écran, on est constamment dans l’actualité.  » Alors que Seconde Chance écoule son stock…

François Tron connaît bien les séries, tant américaines que françaises. Il a notamment dirigé les achats de fictions pour France 2,et se cache avec Bibiane Godefroid derrière la programmation d’ Urgences en prime-time sur le service public. Il y a eu un avant et un après Urgences.  » On a développé dans l’£il du téléspectateur une image, une identité qui n’est pas la sienne, un rythme auquel il n’était pas habitué. A cause de cela, on regarde maintenant la fiction francophone d’une autre manière. »

Le successeur d’Yves Bigot, quand il évoque des séries US, parle d' » industrie« :  » Les Etats-Unis considèrent qu’il s’agit d’un pan de leur économie. La série américaine dispose de gros moyens – ce qui lui permet de s’offrir de grands talents, une infrastructure qui lui permet de produire facilement et un ensemble de règles économiques et juridiques qui la soutiennent.  » Pour sortir du marasme – qui touche la télé belge souvent tributaire des choix français -, il estime qu’il faut travailler sur les écritures, oser, transgresser…  » La fiction française a pris du retard sur l’évolution de la société. En ce moment, la télé publique va vers le patrimonial. Cela vieillit son public et donne des repères passéistes. Il y a une nécessité de rénovation.  »

En Belgique, la RTBF est la seule chaîne à produire des séries 100 % made in Belgium. Avec un succès public assez relatif: 7e Ciel Belgique, la première d’entre elles, s’est ramassée. Melting Pot Café a trouvé un public, sans qu’on puisse toutefois parler de gros carton. Karim Brusseleers, producteur indépendant, tente depuis un an de créer une série belge qui lui plaise. Ce sont justement les productions siglées RTBF qui lui ont donné envie de faire… autre chose!  » Je pense que ce type de fictions n’intéresse pas les gens de ma génération! Je n’aime pas cette obligation d’ancrage belge. « 

Karim Brusseleers dirige la SPRL Genvaloise Pilgrim, et tente de terminer le pilote de 39 passages des anges. Une série qui se veut différente de ce que sert la télé belge. Un projet ambitieux avec Benoît Verhaert ( Thomas est amoureux…) au générique, qui est en panne de budget.  » Nous nous sommes lancés dans l’aventure un peu naïvement, et nous sommes finalement tombés dans les travers qu’on reprochait à la RTBF: monter quelque chose de très cher, qui séduit tout le monde. Je trouve que le service public ne doit pas à tout prix chercher à toucher tout le monde en même temps, mais pourrait se lancer dans des programmes qui visent une cible plus serrée et la toucher vraiment. » François Tron réagit:  » On n’est pas une télé thématique, et on a les moyens de réaliser une seule série à la fois, donc forcément, on va s’attaquer au plus grand nombre. »

Cette saison, la chaîne annonce l’arrivée d’ A tort où à raison, chronique judiciaire ultra-ambitieuse écrite par l’avocat Marc Uyttendaele, et coproduite par France 3. Enfin un carton noir-jaune-rouge?

Texte Myriam Leroy

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content