La beauté des reprises chantées par Marianne Faithfull sur Easy Come, Easy Go, est à la mesure d’une vie fracturée mais jamais abandonnée par la musique.

Sur la pochette du nouvel album, la très belle photo de Jean-Baptiste Mondino présente une femme rayonnante qui oublie ses rides, Marianne Faithfull… Celle qui fit flamber les sixties et le c£ur de Mick Jagger est devenue une sexagénaire apaisée, marquée par une vie qui ne le fut guère. L’héroïne et la cocaïne lui ont dessiné seize années d’enfer et de purgatoire (1969-1985) mais l’expérience d’une sous-humanité camée sera plus tard transformée en désir absolu de création musicale. Sur le nouveau disque, l’enfance de Marianne – entre aristocratie et bohême – résonne d’échos mélodramatiques des Marlene Dietrich et Kurt Weill qui l’ont bercée. Les chansons choisies par la chanteuse et le producteur Hal Willner – déjà partenaire du Strange Weather de 1987 – sont d’origines contrastées: Duke Ellington, Randy Newman, Dolly Parton, Morrissey, Brian Eno, Traffic voisinent les peu connus Decemberists, Espers ou Neko Case. Mais les dix-huit titres respirent d’abord par la voix de Faithfull, éraillement blues passé d’une lointaine éducation anglaise à l’actuelle urbanité new-yorkaise, lieu d’enregistrement et de vie de nombre de musiciens présents sur le disque. Parmi eux, le remarquable guitariste Marc Ribot, qui prodigue aux morceaux des assaisonnements poivrés d’électricité. On ne se coltine donc pas un autre album de reprises dans un marché saturé de références passées. Et puis, Ma-rianne a changé: elle ne fume guère, ne boit plus, a arrêté les drogues. Elle semble lavée du stress à fleur de peau de nos rencontres précédentes, apaisement nouveau qu’elle attribue aux deux autobiographies hautement confessionnelles publiées en 1994 et 2007. Plus en phase avec elle-même, plus ouverte, tout comme son disque.

In Germany Before The War

There was a man who owned a store

In nineteen hundred thirty-four

In Dusseldorf

And every night at five-o-nine

He’d cross the park down to the Rhine

And he’d sit there by the shore

(Randy Newman, 1977)

Enregistré live en studio avec un impressionnant casting d’instrumentistes et chanteurs (Nick Cave, Rufus Wain-wright, Jarvis Cocker, Sean Lennon…), Easy Come, Easy Go est une réussite: le son, capté en analogique, est à la fois capiteux et sensuel, dessinant des courbes de spleen alternées à des moments plus rythmés. Jazz, blues, country, rock y cohabitent comme de vieux amis qui se voudraient du bien. Parmi les moments forts, In Germany Before The War, écrit par Randy Newman . Les orchestrations menées par un quatuor de clarinettes y traquent une ambiance très Mitteleuropa:  » Tous nos arrangeurs – Greg Cohen, Steve Weisberg, Gil Goldstein… – sont juifs donc il doit bien y avoir une connexion, ainsi qu’avec l’univers de Kurt Weill auquel Randy Newman a emprunté le tempo. Peut-être que mon lien à la culture juive compte: je suis une sorte de bâtarde, de sang métissé, je ne suis pas complètement juive -ma grand-mère maternelle l’était – mais cela aide! Quant à Randy Newman, c’est un membre du peuple élu comme aurait dit ma mère (sourire ). J’aime son ironie, son amertume, son intensité, sa beauté et, même si ce n’est pas présent dans cette chanson, j’aime beaucoup son sens de l’humour. »

There are explosive kegs

Between my legs

Dear God, please help me

(Morrissey, 2006)

Dans la série de chansons retenues, celle de Morrissey, Dear God Please Help Me, questionne l’existence de Dieu et son avis éventuel sur la sexualité du chanteur (…). Pose transgressive partagée par Marianne qui ne croit pas en Dieu mais plutôt à une spiritualité sous forme d' » énergie étourdissante« . L’Anglaise qui passe toujours une large partie de son temps dans un coin pastoral d’Irlande, a peut-être vu dans Morrissey un lointain neveu.  » J’habite en Irlande depuis la fin des années 80 et j’y aime le sens de la tribalité qui y règne même si je ne me considère pas comme faisant partie de la tribu! J’ai toujours été une sorte d’outsider et j’aime cela. » On peut aussi qualifier d’outsider Antony Hegarty (d’Antony & The Johnsons), présent sur une démente version d’un morceau soul de Smokey Robinson. Marianne lui laisse faire la  » brillante gymnastique vocale » qui se traduit par un abrupt changement de tempo à mi-course d’ Ooh Baby Baby. L’étoile filante de l’album.

Sing me back home with a song I used to hear

Make my old memories come alive

Take me away and turn back the years

Sing Me Back Home before I die

(Merle Haggard, 1968)

Il n’est pas pensable d’occulter la participation d’un autre gentleman britannique au disque: Keith Richards. De sa voix de clochard céleste, le Stones suprême accompagne Marianne dans une très belle version d’un country signé Merle Haggard ( Sing Me Back Home):  » Cela faisait très longtemps que nous n’avions pas joué ensemble – tout au moins publiquement – et j’ai trouvé cela extrêmement émouvant.Je n’ai rien contre les souvenirs et puis, j’aime les voix à la Keith, particulières, comme la mienne. J’aime le noir et blanc marqué des chansons country, le drame, la tragédie. Même si je ne regarde pas ma vie comme une tragédie, j’aime parfois jouer ce rôle-là… (sourire)  » Bonne actrice donc que Marianne, récemment vue dans le film belge de Sam Garbarski, Irina Palm, où elle joue avec conviction une veuve poignet professionnelle chargée d’exercer son tour de main dans un sex-shop. « Je pense que nous avons fait un beau travail même si je n’ai jamais vu un film cochon de ma vie, ni été dans un sex-shop. J’aime rester ignorante en ce domaine: cette ignorance m’a beaucoup aidée à jouer le rôle. » Sans une « once de nostalgie » dans ce corps marqué -en rémission d’un cancer du sein, porteuse de l’hépatite C – Marianne n’a plus qu’un choix: aller de l’avant. Et continuer à conquérir les c£urs.

Le disque est sorti en différentes versions, en double vinyle, double CD avec bonus DVD et simple CD, chez Naïve/Pias.

Texte Philippe Cornet

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