LES LUTTES SOCIALES SE MULTIPLIENT PARTOUT DANS LE MONDE, EN MÊME TEMPS QUE LES BANDES DESSINÉES QUI TENTENT DE S’EN FAIRE L’ÉCHO OU, PLUS SOUVENT, LE COMPAGNON DE COMBAT.

C’était il y a quelques mois, en postface de LIP, des héros ordinaires, une excellente bande dessinée de Laurent Galandon et Damien Vidal (Dargaud) retraçant l’histoire d’une des luttes les plus emblématiques du mouvement ouvrier français autour d’une usine de montres en 1973: le directeur de l’époque, convaincu des bienfaits de l’autogestion, y appelait les lecteurs à conti-nuer-le-com-bat; « j’aimerais que vous qui avez lu cette bande dessinée, vous réfléchissiez comment, de votre place, avec vos moyens, vos compétences, vous pouvez entrer dans cette lutte, devenir des militants pour changer la société qui, sinon, va finir pas nous exploser à la figure et à la figure de nos enfants. N’ayez pas peur. Allez-y! » Un appel à la lutte ouvrière qui, s’il n’a pas poussé la population à la rue, semble avoir été entendu par le monde de la bande dessinée: les albums donnant une voix aux sans-voix, aux combats syndicaux ou à la défense des Droits de l’homme se multiplient effectivement dans les rayons.

De Baru à Banksy

Si la présence du prolétariat dans la bande dessinée ne date pas d’aujourd’hui, elle a mis du temps, comme les sujets dits « adultes », à y trouver vraiment sa place. Baru fut peut-être, dans les années 80, le premier à vouloir donner corps à une bande dessinée véritablement populaire: Quéquette Blues, sa chronique d’un quartier défavorisé et multiculturel dans l’est de la France, lui vaudra ainsi un prix à Angoulême en 1985. Kris et Davodeau creuseront eux aussi et par exemple ce sillon de la chronique réaliste et de plus en plus engagée avec Un homme est mort, récit des grandes grèves de Brest dans les années 50.

La montée en puissance du BD-reportage et d’une certaine bande dessinée du réel a fait le reste en cette période de crise et d’injustices sociales: pas une semaine désormais sans sa sortie branchée « lutte ouvrière ». La plus remarquable, de ce point de vue, reste peut-être le Johnson m’a tuer récemment publié par Futuropolis, grand pourvoyeur du genre: son auteur, Louis Theillier, avait vraiment les crayons dans le cambouis puisqu’il était lui-même ouvrier dans cette usine de pots catalytiques en périphérie bruxelloise lorsqu’elle fut occupée pour éviter la délocalisation. Et qu’il décida d’user de ses talents graphiques pour raconter le conflit de l’intérieur, seulement muni d’un bic, « le seul matériel disponible et fourni par l’employeur« . Une lutte sociale réellement menée par le dessin, d’abord dans des fanzines distribués à ses collègues, ensuite sur un blog, puis dans cet album censé donner des idées à d’autres: Louis Theillier s’est depuis rendu dans d’autres usines en grève ou en conflit pour partager et faire fructifier sa démarche. Il a aussi logiquement rejoint l’enthousiasmant projet Médor, un magazine trimestriel, collaboratif, autogéré et anglé enquêtes, y compris en dessins, et qui devrait voir le jour d’ici un an -une campagne de financement est en cours.

La bande dessinée, dans un mouvement somme toute logique, semble en réalité avoir enfin rejoint les rangs de ce que l’on nomme le « protest art », et qui, de Banksy aux affiches du mouvement Occupy Wall Street, a refait du dessin et du graphisme son principal outil de combat et de propagande. Et il faut retourner aux grandes heures de l’empire soviétique pour voir à ce point le graphisme, la typographie et le dessin au service d’une certaine lutte finale. Tremblez, grands de ce monde.

RENCONTRE Olivier Van Vaerenbergh

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