LE GONCOURT 2013 REVIENT AVEC UN THRILLER. PARTICULARITÉ: LE MEURTRIER N’A QUE 12 ANS. ET UNE VIE POUR EXPIER UN CRIME NON RÉSOLU. MAIS PAS SANS CONSÉQUENCES.

Trois jours et une vie

DE PIERRE LEMAITRE, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, 288 PAGES.

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Après avoir remporté le grand Chelem avec son formidable Au revoir là-haut (prix Goncourt 2013, énorme succès de librairie et bientôt un film avec Albert Dupontel), Pierre Lemaitre a dû se poser la question, un peu vertigineuse, de la meilleure manière d’aborder la marche suivante sans se casser la figure. On connaît désormais la réponse: plutôt que de poursuivre sur la lancée de la comédie humaine picaresque et acide arrachée à la glaise de la Grande Guerre, il est revenu à ses premières amours polardeuses sous influence simenonienne.

Trois jours et une vie raconte l’histoire tragique d’Antoine, un garçon de douze ans habitant un village de campagne, Beauval, dont la vie bascule le jour où il tue son petit voisin, Rémi Desmedt. En colère parce que le père de Rémi a achevé de sang-froid leur chien qui vient de se faire renverser par une voiture -un chien qui était devenu son fidèle compagnon-, Antoine s’en est pris à Rémi, venu le rejoindre au mauvais moment dans la forêt d’Eustache où les gamins du coin ont l’habitude de traîner. Pris de panique quand il se rend compte que le coup de bâton qu’il a porté a été fatal, le jeune meurtrier s’empresse de cacher le corps au fond d’un trou avant de rentrer fissa chez lui plus ou moins comme si de rien n’était. Car désormais, sa conscience ne connaîtra plus la paix, rongée par la culpabilité autant que l’angoisse de se faire attraper.

Le choc est d’autant plus rude que rien ne le prédestinait à devenir un criminel. Enfant sans histoire, Antoine est juste un peu plus réservé et plus solitaire que la moyenne, tempérament renforcé par l’attitude ultra protectrice d’une mère divorcée et dépassée. « Elle élevait, entre les faits qui la dérangeaient et son imagination, un mur haut et solide qui ne laissait filtrer qu’une angoisse diffuse qu’elle atténuait grâce à une quantité inouïe de gestes habituels et de rituels intangibles. » Elle transformera même la tentative de suicide d’Antoine, qui a avalé toute la pharmacie, en simple indigestion…

Quand la nature s’en mêle

Lemaitre nous narre les événements du point de vue de l’enfant, témoin de ses propres tourments, des assauts de son imagination et des effets du drame sur la petite communauté, radiographiée dans ses travers mesquins. A commencer par les Desmedt, famille martyre écrasée par le chagrin. « Tous trois alignés faisaient face à l’assemblée des fidèles. Et il y avait, dans le tableau de ce taureau retenant sa fureur, de cette femme dévastée et de leur fille immature qui transpirait le sexe et l’échec, quelque chose de déchirant. »

Même si le style ultra classique de l’auteur a parfois le goût du yaourt sans sucre, il s’y entend pour tenir le lecteur en haleine à coups de rebondissements. Ainsi, alors qu’une battue doit être organisée le lendemain dans la zone où Antoine a abandonné sa victime, une violente tempête s’abat sur la région et la laisse complètement dévastée. Le drame de Rémi passe du coup au second plan. La compassion a des limites… Un meurtre et une catastrophe naturelle, c’est beaucoup pour un seul village. Antoine est le seul à profiter de la situation. Momentanément. L’histoire rebondira -de façon un peu tirée par les cheveux- douze ans plus tard pour donner un cours inattendu à sa vie.

Un roman d’atmosphère efficace à défaut d’être génial. Pour le grand frisson, on attendra donc la suite annoncée de Au revoir là-haut.

LAURENT RAPHAËL

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