Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Phil Spector vient d’être condamné à dix-neuf ans de prison pour un meurtre commis en 2003. Aboutissement d’une longue déchéance où le génie producteur se dilue dans un océan de faux cheveux…

Quel est le lien entre le jeune mec des années soixante et le sexagénaire (très) inquiétant qui terminera probablement sa vie dans une prison californienne? Un talent musical hors normes, un goût immodéré pour les armes à feu et un mal être récurrent planqué dans un océan de perruques. Si le cadre de l’actuel procès est infiniment sordide – Spector a revolvérisé dans la bouche l’actrice Lana Clarkson venue boire un verre dans sa villa -, c’est aussi l’apparence au tribunal du maître qui laisse une impression flippante. Arborant une série de costumes et de cravates flamboyants, Spector, 69 piges, paraît au tribunal tour à tour avec les « cheveux » blonds semi-longs et lisses d’un jouvenceau moyenâgeux ou boursoufflés dans une fausse coupe afro gigantesque. Parfois, il se laisse aller à une gouttière frôlant le cou très RWDM 1977. Comme si ses soucis légitimes de finir grillé ou taulard avaient formé une métaphore capillaire à la hauteur de ses angoisses: monumentales. Comme si le dessus de sa tête devenait le tableau de tous ses dangers, le signal d’alarme qu’à l’intérieur – appelons cela le cerveau – les neurones grillaient tous les feux rouges dans une affolante et désolante course au déguisement. Bien que le producteur ait toujours planqué son physique malingre et peu avantageux dans ce qu’il faut bien nommer des travestissements…

Gangsta’ rock

Sa musique l’est aussi et c’est ce qui fera assez vite sa gloire. Spector truque sublimement les chansons, y bâtit son fameux mur du son à coups d’océan de violons, cuivres et pathos. Sur la pop femelle des Crystals ou des Ronettes, il déverse une coulée continue de sucre qui propulse la mélodie au ciel. C’est ébouriffant, surexposé et délicieux. Il appliquera la même formule à Ike & Tina Turner ( River Deep Mountain High) et même aux Beatles en noyant The Long & Winding Road sous une montagne de cordes mélancoliques. Le loustic des années 60-70 est, déjà, un maniaque de la gâchette. Il tire dans le plafond du studio lors d’une session avec Lennon (1973), interdit l’entrée du mix – de son propre disque… – à Leonard Cohen via un garde armé (1977) et menace d’un flingue les Ramones qui se demandent pourquoi aucune note n’a été enregistrée en treize jours de studio (1980). Le look est de circonstance: lunettes noires (surtout la nuit) et perruque de la même couleur, tendance mafioso. Paranoïaque, intraitable, réputé ingérable par les compagnies de disques, Spector s’enfonce dans l’anonymat de ses villas cossues, rendu riche par son historique back catalogue. Mais depuis l’affaire Ramones, il n’a plus produit que quatre albums en vingt-neuf ans (dont un Starsailor)… Ce Howard Hugues du rock ne fera pas comme son père – mort par suicide -, il a préféré tirer sur un autre. Il est probable que l’histoire ne retienne que cela et les perruques, un double crime crapuleux…

PHILIPPE CORNET

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