Pékin off – Pékin n’est pas que le cour de l’Empire du Milieu. C’est aussi la plaque tournante de l’avant-garde chinoise. Démonstration avec les images frénétiques d’Alain Le Bacquer.

De Alain Le Bacquer (photos) et Stéphanie Ollivier (textes), éditions Alternatives, 144 pages.Pékin, côté pile? La vitrine clinquante des JO, ses artères tirées au cordeau, ses sourires dorés sur tranche… Pékin, côté face? La répression, le Net muselé, la parole confisquée. Encore que… Sous la surface policée s’active une faune linglei (alternative). Comment, le régime tolère ce magma artistico-subversif? Il le tolère parce qu’il l’a enfanté… En desserrant d’un cran l’étau idéologique et en faisant l’apologie de l’individualisme sous l’ère Deng Xiaoping, le parti tout-puissant a secrété lui-même, à l’aube des années 90, cette avant-garde assoiffée de liberté et de nouvelles sensations. Ce qui n’a pas empêché les autorités de mettre des bâtons dans les roues de ces enfants terribles dès qu’ils tentaient de sortir de la marginalité, interdisant par exemple les concerts punks ou la diffusion de films recalés par la censure.

Pour se frotter à cette mouvance underground, il faut donc aller la chercher là où elle se niche, à savoir dans les banlieues lointaines de la capitale ou dans les entrailles du centre-ville. Et de préférence la nuit, terrain de jeu privilégié des marginaux de tous poils. C’est ce qu’a fait le photographe Alain Le Bacquer. Il a ramené de ses voyages dans les eaux profondes de la mégalopole des clichés noir et blanc époustouflants, tout en nervosité, en vibrations, en énergie brute. Des images fortes, souvent floues, comme prises à la sauvette, dans l’urgence de l’instant.

TOUR D’HORIZON DE LA CONTRE-CULTURE

Quatre escales jalonnent son périple comme la carte postale qu’il nous envoie à travers ce magnifique album. La première nous conduit à Huoying, le village des rockeurs. C’est là, dans la banlieue nord de Pékin, que les fils spirituels de Cui Jian, rock star de la génération Tien an Men, ont élu domicile. Un parfum seventies flotte sur cette communauté amateur de punk rock et de heavy metal qui trimballe son mal de vivre au gré des démolitions et des expulsions. Cap ensuite sur Tongxian, le fief de la bohème artistique situé à l’est de la ville tentaculaire. Galeries improvisées, ateliers improbables peuplent cette bourgade. Entre pop kitsch, réalisme critique mêlant tradition et multimédia, et figuration politique, les artistes qui gravitent ici sont les mêmes que l’on retrouve dans les galeries branchées de Pékin et du monde entier.

Retour dans le centre pour la troisième étape. Et plus précisément à Xidan, point de ralliement des fashion victimes de la capitale. L’occasion de faire plus ample connaissance avec cette jeunesse à deux couches comme la qualifient les sociologues: occidentalisée à l’extérieur, très chinoise à l’intérieur. Les looks sophistiqués pullulent, tendance lolita ou pop-rock. On se croirait à Tokyo. Pas de velléité révolutionnaire cependant dans ce dégel esthétique mais juste l’affirmation de sa personnalité. Enfin, le voyage s’achève par une immersion dans la nuit pékinoise. Passée au rayon infrarouge, Pékin dévoile une vie intense et riche, entre raves sur la grande muraille, bars lounge, boîtes techno et salons karaoké.

On a parfois du mal à y croire tant ce déluge de décibels et de styles non-formatés ne colle pas avec l’image d’Epinal à deux faces (d’un côté, le monde rural analphabète et moyenâgeux; de l’autre, l’arrogance patriotique de l’establishment) que l’on se fait ici de la Chine. Il existe pourtant bien une troisième voie, dont le dynamisme annonce peut-être des lendemains qui chantent, bien plus sans doute qu’une pluie de médailles d’or et une organisation sans failles aux JO.

www.editionsalternatives.com

Laurent Raphaël

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