Michel Demeuldre décode la tristesse. Docteur en sociologie, prof à l’ULB, il a dirigé un ouvrage collectif intitulé Sentiments doux-amers dans les musiques du monde.

Focus Vif : comment peut-on définir scientifiquement la musique triste?

Michel Demeuldre: il n’existe pas de musique exclusivement triste. Sans plaisir, pas de musique. Ni d’écoute. On ne peut dès lors envisager que des chansons douces-amères. La jouissance d’une tristesse, d’un certain manque. Le fado repose sur la saudade et le culte de l’absence. Le flamenco est davantage lié à la douleur. En même temps, la relation entre la musique et les sentiments s’inscrit dans un rapport de virtualité. Rien ne peut être considéré comme objectivement triste ou gai. Aucune matière, fut-elle sonore, n’est douée de sentiments. Je dirais encore que la perception est par essence contraste. Si la musique n’était que lente et triste, elle cesserait d’être triste puisque sans contraste.

Quels sonorités et instruments mènent à la tristesse?

Les instruments intimes, ceux qui peuvent être chuchotés s’y prêtent davantage que les autres. Nous allons plus loin dans l’intimité des sentiments avec des cordes. Le violon et la guitare sont individualistes. Comme la tristesse. Intime et personnelle. On peut également parfois déceler un rapport éthologique. C’est l’idée de la chamelle qui appelle son petit. Certains morceaux contiennent des gémissements, des sanglots, des formes d’expressions émotionnelles physiologiques. Il existe des ressemblances entre des expressions sonores de douleur et de tristesse et des formes musicales.

Peut-on être bruyant et triste?

Le domaine du rock plus lourd comme le heavy metal cultive quelque part le paradoxe du doux-amer. En écouter peut correspondre à boire un verre d’alcool fort. L’auditeur cherche un plaisir mais un plaisir assaisonné de souffrance. L’alcool brûle. Il ne caresse pas le gosier. Le consommateur recherche une sensation forte. Le soul allie souvent des paroles dures et tristes à beaucoup d’enthousiasme et d’énergie. Nombre de soulmen méprisent le blues. Ces gémissements d’un oncle Tom qui accepte la domination.

Certaines époques sont-elles propices à la naissance de disques ou de chansons déprimées?

A priori, oui. Des événements politiques peuvent précipiter leur apparition. Comme ce fut le cas en Hongrie lorsque l’aristocratie fut dépossédée de ses terres ou au Portugal avec la croisade sans retour de Sébastien. Par contre, aux Etats-Unis, aucune chanson triste n’a bercé la crise des années 30. Dans la communauté noire-américaine, c’est même l’époque des disques de prêcheurs. Difficile donc de parler d’un lien de cause à effet.

Sentiments doux-amers dans les musiques du monde, dirigé par Michel Demeuldre, éditions L’Harmattan, 2004, 334 pages.

ENTRETIEN JULIEN BROQUET

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