LE 26E SOUTH BY SOUTHWEST A VÉCU. ET CETTE ANNÉE, CE SONT DES LABELS QUI NOUS ONT SERVI DE GUIDE DANS LA FOURMILIÈRE TEXANE. SUR LES TRACES DE JACK WHITE, DES AMOUREUX DE LA CASSETTE ET DES OS SACRÉS…

Il n’y en a pas d’autres dans le monde, des endroits où Bruce Springsteen tape le b£uf avec Arcade Fire et Tom Morello (Rage Against The Machine) et où Eminem croise le flow avec 50 Cent. Des endroits où vous êtes obligé de fumer une clope pour pouvoir assister à un concert. Parce que le concert en question est organisé par une marque de cigarettes. Et où des clochards, rémunérés, sont transformés en bornes relais Wifi par une agence de communication (Bartle Bogle Hegarty). Une idée trash et controversée (mais y en a-t-il d’autres efficaces aujourd’hui?) qui a le mérite d’attirer l’attention sur la situation des Sans Domicile Fixe. Tout ça, et bien plus encore, s’est passé au Texas, à Austin, du 13 au 18 mars, pendant le grisant, enivrant, étonnant, étourdissant et bien évidemment démesuré South by Southwest. Grande foire commerciale américaine de la culture. Supermarché de la musique indépendante, du cinéma et des nouvelles technologies (SXSW a aidé Facebook, Twitter et Foursquare à décoller). Et terrain de jeu des publicistes les plus barjots. Cette année, une scène ressemble même à un distributeur de Doritos géant.

L’après-midi, hors programmation officielle, quand les concerts sont gratuits, pas mal de choses, notamment un peu de bouffe et beaucoup de bière, sont offertes aux visiteurs… L’événement est plus sponsorisé qu’une caravane du Tour de France. En attendant, pour Austin et ses commerçants, ses bars et restaurants, c’est la poule aux £ufs d’or. En 2008, le festival le plus médiatisé du monde avait eu 110 millions de dollars de retombées économiques sur la ville. Et à en juger par le monde de dingue qui arpente la 6e de part et d’autre de l’Interregional Hwy, on s’imagine que l’îlot démocrate dans l’océan républicain texan va encore voir ses caisses déborder de dollars.

Quoi qu’il en soit, les trois questions principales qu’on se pose pendant South by Southwest sont  » Tu bois quoi?« ,  » Qu’est-ce que tu as vu? » et  » Tu vas où?« . Faut dire qu’avec une petite centaine de clubs et plus de 2000 groupes au programme qui, in et off confondus, jouent entre quatre et dix fois sur la semaine, on ne sait pas toujours où donner de la tête.

Si pas mal de labels ont déjà été contraints de mettre la clé sous le paillasson allègrement piétiné par les pilleurs webophiles pour qui la musique a la valeur d’un abonnement Internet, d’autres se distinguent par la qualité et la cohérence de leur catalogue. Le soin porté à l’esthétique visuelle et/ou sonore de leurs disques. Ou encore l’étrangeté de leur support. Trois d’entre eux ont guidé nos pérégrinations imbibées dans les rues bondées d’Austin.

Burger Records: tape machine…

Priorité au plus original. Label californien basé à Fullerton, Burger Records est spécialisé dans la cassette. Oui celle du walkman et de l’autoradio de papy… Viscéralement rock’n’roll, Burger a dans son catalogue sur bandes magnétiques les quatre derniers albums des Black Lips, tout le répertoire de Thee Oh Sees mais aussi des tas de trucs inconnus qui ont jamais foutu un petit orteil en dehors du continent américain. Burger est venu en délégation. La caravane d’une dizaine de groupes s’est arrêtée à Tucson, El Paso et San Antonio avant de prendre ses quartiers à Austin où jouent tout de même une cinquantaine de ses groupes. Les Tomorrows Tulips emmenés par le surfeur Alex Knost et sa copine, la ravissante Christina Kee, viennent de sortir leur premier album, Eternally Teenage, et font dans un rock sixties lo-fi et velvetien. Plus pop, les Resonars sonnent comme un croisement entre les Beatles et Love avec une touche pop noisy nineties. Là où le génial Mikal Cronin, pote d’enfance de Ty Segall qui joue d’ailleurs de la batterie sur son disque sorti fin 2011, fait dans une pop garage assez irrésistible.

 » Venir à South By Southwest, c’est pour moi l’occasion de rencontrer en chair et en os tous les artistes du label. Il y en a pas mal que je n’ai jamais vus. Puis aussi de faire connaître Burger et de continuer à se développer« , explique Sean Bohrman, le fondateur de la structure sur le parking de Trailer Space Record. Le magasin le plus rock’n’roll d’Austin et avec le Beerland, une espèce de DNA local, l’un des plus chouettes endroits où voir des concerts pendant SXSW.

Burger Records, c’est aussi les impeccables Cosmonauts -pensez Modern Lovers, Deerhunter, In The Red. Le psychédélisme plus pop de King Tuff. Un gig hallucinant de Thee Oh Sees (le 21 juin au VK) dont un guitariste joue la tête en bas les pieds enlacés à l’armature de leur petit chapiteau. Et une soirée drag dans un bar gay où tous les groupes, dont les excitants et déglingués Pangea, jouent déguisés en femmes. Oh yeah…

Third Man Records: Jack White rules

Vendredi soir 18 h 30. La rue est interdite à la circulation mais un petit camion jaune vintage et flashy stationne devant The Stage on Sixth. Ce bus, c’est un Rolling Record Store. Celui de Third Man Records. Le label fondé par Jack White. Si tu ne vas pas aux vinyles de Tonton Jack, ce sont les vinyles de Tonton Jack qui viennent à toi. L’engin a pris la route il y a un an pour SXSW 2011 et se promène depuis de festival en festival. L’occasion de tuer le temps car la file est longue pour pénétrer dans ce qui ressemble moins à un bar moderne qu’à un vieux saloon. A vue de nez, on doit pouvoir y entasser 1500 cow-boys. Et comme Jack White donne là son seul concert de South By pour annoncer la sortie de son premier album solo, les places sont chères.  » There’s no guarantee to go in« , hurle à tue-tête un gros bonhomme pendant notre heure de file. A l’intérieur, sur deux scènes, se succèdent des artistes de chez Third Man. Purling Hiss, trio de rock entre les Stones et le MC5 emmené par le Bird of Maya Mike Polizze. Sympa. Ou, plus convaincante, la petite Australienne Lanie Lane. Chanteuse de country blues vintage rock’n’roll et rockabilly à l’esprit et au look profondément fifties. Une espèce de Wanda Jackson du XXIe siècle. Les Black Belles, elles, sont quatre sorcières blues rock gothiques et pourraient tout aussi bien être rebaptisées les Black Stripes tant on entend chez elle la patte, disons plutôt la griffe, de leur mentor Jack, son amour pour le blues, Led Zep.

On brosse ensuite l’ex-madame White, Karen Elson, déjà vue à l’AB, pour le jeune Pujol. L’air je-m’en-foutiste et même branleur, le garçon de Nashville fait dans le rock garage,  » southern fried country punk« , qu’il dit, avec une énergie bas du front qui plairait aux Ramones.

Puis plus rien. Une heure d’attente. Et voilà Mister White qui débarque sur scène en compagnie de six donzelles. Violon, contrebasse, mandoline… Orgue, guitare, batterie… De quoi donner de nouvelles couleurs à Dead Leaves and the Dirty Ground et autre Hotel Yorba. Car oui, Jack White, s’il est là pour défendre son album perso, fait du White Stripes. Puis enchaîne sur l’une des chansons ( Two against one) de Rome, le projet de Danger Mouse dont il se partageait les voix avec Norah Jones.

On pense être au bout de nos surprises sauf qu’après une petite pause, l’exilé à Nashville revient en compagnie d’un autre backing band, cinq mecs cette fois, pour enquiller My Doorbell, Hardest Button to Button, des extraits du nouveau Blunderbuss, des Raconteurs ( Steady as she goes) et du Dead Weather ( I Cut like a Buffalo).

C’est tellement bluffant qu’on en ignore Bill Murray apparemment au bar. Et il ne sert à rien de vous jeter sur YouTube.  » No camera, no cell phone up or you’ll be kicked out« , martelait déjà un malabar quelques heures plus tôt quand on pénétrait dans l’enceinte. Le seul qu’on voit s’essayer à immortaliser l’événement se fait dégager manu militari. Ça fait du bien d’assister à un concert sans les odeurs de dessous de bras.

Sacred Bones: noir c’est noir…

Sacred Bones. Les os sacrés. Un nom enveloppé de mystère. Un logo, un triangle entouré d’un cercle, façon sciences occultes. Des pochettes à l’esthétique uniforme. Puis surtout des groupes aux univers cosmiques, aux délires psychédéliques et à la noirceur systématique (parfois, dans le cas de Zola Jesus, un peu trop synthétique)… Le Label fondé en 2007 à Brooklyn par Caleb Braaten, alors employé chez un disquaire (Bleecker Bob’s à Manhattan), n’a pas tardé à s’installer comme l’une des structures les plus énigmatiques et fascinantes de la scène underground.

A Austin, Sacred Bones présente des courts métrages expérimentaux, un film psychédélique en douze chapitres, Twelve Dark Noons, réalisé par la clippeuse maison Jacqueline Castel mais surtout une belle tripotée de groupes. Les rockeurs grungy de The Men, dont le nouvel album commence avec un titre à la Foo Fighters, semblent avoir perdu leur grain de folie depuis la sortie de leur premier album. Et Wymond Miles, le guitariste et songwriter des Fresh & Onlys, est plus ennuyeux qu’autre chose. Mais rien que pour l’exceptionnel concert d’ Amen Dunes, on peut chérir Sacred Bones jusqu’à la fin des temps. Amen Dunes, ce n’est pas un concert, c’est une expérience. Entre nuit et jour. Rêve et réalité. Une espèce de near death experience. La lumière. Le tunnel… Une incantation. Damon McMahon et ses musiciens vous emmènent loin, très loin… Et comme les Psychic Ills assurent l’atterrissage en plein jetlag avec leur musique droguée, la soirée est juste parfaite.

En vrac

On s’en voudrait de raconter SXSW 2012 en oubliant les Strange Boys. Désarmants avec leur mélange de rhythm and blues, de rock, de garage, de country, leur côté bancal et groovy, la voix et le piano de Ryan Sambol. A ne pas rater le 4 avril à l’Ancienne Belgique pour les distraits. Mais aussi les vieux dingos canadiens The Evaporators entre concert et comedy, les Fleshtones et les Buzzcocks, qui chantent des morceaux en hommage aux Français  » Addicted to cheese » et jouent du clavier en crowdsurfant…  » 16 ans d’existence« , glisse un des mecs, par ailleurs membre des New Pornographers.  » L’Europe, à mon avis, ce sera pour l’année prochaine. » Et enfin Los Vigilantes. Quatre (garage) punks portoricains qui chantent avec la fougue et l’urgence de Jay Reatard en espagnol. Adios Texas. Hasta La Proxima. l

TEXTE JULIEN BROQUET, À AUSTIN

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